dimanche 6 avril 2014

Mahmoud Abbas contre Mohamed Dahlan : le bras de fer final

Le feuilleton sanglant des pantins continue

par Ramzy Baroud, 31/3/2014 
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 
Les deux plus pitoyables pantins de la scène palestinienne semblent s'être lancés dans un bras de fer final. Enjeu : la place de Premier Pantin. Ramzy Baroud récapitule les épisodes de cette zizanie qui contient tous les ingrédients d'un feuilleton criminel, avec beaucoup de sang, beaucoup d'argent et beaucoup de méchants.


Quand le défunt leader palestinien Yasser Arafat était confiné par les soldats israéliens dans son QG de la Mouqataa à Ramallah, Mohammed Dahlan régnait en maître. Celui qui était sans doute le membre le plus puissant et efficace de la  “Bande des Cinqˮ gérait les affaires du Fatah "au pouvoir", assurait la coordination avec Israël sur les questions de sécurité, grenouillait et magouillait dans tout ce qui touchait aux affaires régionales et internationales.

On était alors entre mars et avril 2002, et c'était d'autres temps. En ce temps-là, Dahlan - ancien ministre de l’Autorité palestinienne (AP), ancien conseiller à la Sécurité nationale, ancien chef du Service de sécurité préventive (SSP) à Gaza – faisait la pluie et le beau temps. Tous ses rivaux avaient été comme par hasard écartés de la scène. Arafat était alors emprisonné dans son bureau de la Mouqataa, et le plus sérieux concurrent de Dahlan, Jibril Rajoub, chef du SSP en Cisjordanie, avait été discrédité d’une manière très humiliante. Au cours de la phase la plus violente de la répression de la deuxième Intifada par Israël (2000 - 2005), Rajoub avait livré le QG du SSP - avec tous les prisonniers politiques palestiniens, principalement du Hamas et d'autres groupes opposés au Fatah, qui y étaient détenus - à l’armée israélienne et était parti. Depuis cela, l’étoile de Rajoub avait pâli, devenant un sombre chapitre de l’histoire palestinienne. Mais pour Dahlan, c’était un nouveau départ.



Jibril Rajoub

Sombre histoire
Pour asseoir leur pouvoir nouvellement acquis, les milices du Fatah loyales à Dahlan et à sa  “Bande des Cinqˮ firent comprendre clairement à tous les petits chefs ambitieux du Fatah que le mouvement avait une nouvelle direction. La Bande des Cinq avait  “mis au rencart la faction de Jibril Rajoub en Cisjordanie », rapportait l'agence UPI,  “et les hommes de Dahlan ont même malmené des équipes de gros bras de Rajoub ». La Bande des Cinq était composée de Dahlan, du ministre des ONG Hassan Asfour, du négociateur en chef Saëb Erakat, de Mohamed Rachid et de Nabil Sha’ath. Asfour et Rachid ont récemment refait surface avec des accusations de corruption et d’implication dans des meurtres. Tous les cinq faisaient de l'agitprop en faveur d'un retour aux négociations directes avec Israël, appelaient à mettre fin à l’Intifada, en particulier son volet armé, et ils voulaient restructurer les services de sécurité de l’AP en une organisation unifiée et dirigée par Dahlan, avec le soutien de la CIA et des agences de renseignements de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite.
De g. à dr. Mohamed Rachid, Hassan Asfour et Mohamed Dahlan, en 2002...


..et Mohamed Rachid, alias Khalid Salam, plus récemment. Ce Kurde d'Irak a participé comme membre d'un groupuscule communiste à la guerre civile libanaise puis s'est infiltré dans l'entourage d'Arafat, qui l'avait surnommé  "al-Jasus" (L'Espion). Condamné par contumace par un tribunal palestinien pour avoir détourné 34 millions de dollars, il est réfugié au Canada, dont il a obtenu la citoyenneté en 2003.
Ce n’est pas une histoire dont la direction du Fatah, y compris Dahlan, aime qu'on la lui rappelle. Cette histoire est trop dangereuse : elle met en lumière la réalité dans laquelle était engluée la couche dirigeante de l’AP à Ramallah, et qui continue de la façonner, avec des retombées sur tous les aspects de la vie des Palestiniens. L’AP a mis à l’écart l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), autrefois prépondérante et le Conseil national palestinien (CNP). Malgré ses lacunes et ses blocages, le CNP avait fait office de parlement pour les Palestiniens de partout. Beaucoup de Palestiniens ont été accablés en constatant qu’un seul parti, le Fatah - ou plus exactement un petit groupe dans un mouvement autrefois révolutionnaire -, exerçait une domination totale sur les prises de décisions politiques palestiniennes, la redistribution économique et le reste.


Nabil Sha’ath                                                                                          Saeb Erakat
La deuxième Intifada, qui commença en septembre 2000, à la différence de la première Intifada de 1987, fit beaucoup de dégâts. Elle semblait manquer d’objectif commun, était plus militarisée, et permit à Israël de reformater la scène politique post-Intifada et post-Arafat en privilégiant ses alliés dignes de confiance dans le camp palestinien. Dahlan et l’actuel président de l’AP, Mahmoud Abbas, élu en 2005 pour un mandat de cinq ans, furent épargnés par les purges israéliennes. Hamas perdit plusieurs strates de dirigeants, tout comme le Djihad islamique et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) qui, comme d’autres groupes de gauche, souffrit de mesures répressives et d’assassinats massifs. Même les militants du Fatah payèrent un prix terrible en sang et en emprisonnements à cause du rôle dirigeant qu’ils avaient joué dans l’Intifada. Mais pour Abbas et Dahlan, les choses furent plus aisées. En fait, au moins pour un certain temps, l’Intifada avait eu des retombées bénéfiques pour certains leaders palestiniens qui avaient été relégués dans des rôles mineurs. Les manigances israéliennes et la pression US ont aidé à les remettre sous les feux de la rampe.

Dahlanistan
Douze ans plus tard, Abbas et Dahlan sont à nouveau au centre de l’attention. Abbas, 79 ans, est le président vieillissant d’une autorité qui a accès au tiroir-caisse mais sans souveraineté ni poids politique (hormis ce que permet Israël). Dahlan, 52 ans, est en exil dans les Émirats arabes unis après que ses partisans  ont été chassés de Gaza par le Hamas en 2007, puis de Cisjordanie par son propre parti en juin 2011. Cela s'est passé après qu’il eut été accusé de corruption et de responsabilité dans l’empoisonnement d’Arafat pour le compte d’Israël. Mais Dahlan, aidé par de puissants amis en Égypte et dans le Golfe, et par ses vieux contacts barbouzards en Israël et aux USA, est en train de comploter pour organiser son retour.
Abbas sait que son pouvoir approche d’une transition délicate, pas seulement à cause de son âge. Si au 29 avril, date limite de la médiation fixée par le secrétaire d’État US John Kerry, il n'y a pas de résultats significatifs, comme ce sera vraisemblablement le cas, il ne sera pas facile pour Abbas de garder le contrôle des différentes cliques concurrentes du Fatah. Et comme Dahlan trouve et manipule avec perspicacité les brèches dans lesquelles s'engouffrer pour retrouver grâce aux yeux d'un milieu politique qui l’a plusieurs fois rejeté, Abbas se lance dans la bagarre en prévision d’un bras de fer. Dahlan lui rend la monnaie de sa pièce, en partie par les temps d'antenne qui lui sont généreusement accordés par des médias égyptiens. Le Fatah est à nouveau en crise, et vu sa prépondérance politique, toutes les institutions politiques palestiniennes vont en souffrir.
Comment est-il possible que Dahlan, accusé de crimes abominables pendant son règne à Gaza, reste présentable ? Il a été accusé de torture, d’espionnage et d’assassinats pour le compte d' Israël. De plus, d’après une enquête de Vanity Fair d’avril 2008, il a tenté un coup d’État à Gaza contre le gouvernement élu de Hamas, ce qui a conduit à une guerre civile, à la prise de pouvoir par le Hamas à Gaza, et à approfondir la désunion qui accable toujours les Palestiniens. Avant son expulsion par le Hamas, Dahlan commandait une force sécuritaire de 20 000 hommes dans Gaza appauvri et dirigeait une unité spéciale financée et entraînée par la CIA. La bande de Gaza était appelée par certains, avec une ironie cruelle et parlante, le Dahlanistan.
Même après qu'il eut été banni de Palestine à la fois par le Fatah et Hamas, le nom de Dahlan a continué à être associé à des conflits sanglants dans d’autres parties du Moyen-Orient. En avril 2011, le Conseil national de transition de Libye l’a accusé d'être impliqué dans une cache d’armes israéliennes que l’ancien leader libyen Mouammar Kadhafi était censé avoir reçu. Les Libyens mentionnèrent aussi le nom de Rachid. Le Fatah avait promis une enquête – vu notamment que Rachid était membre du Comité central du Fatah, mais l’incident n’a été qu’un nouvel élément dans la longue liste d’enquêtes sur les crimes attribués à Dahlan.
Le Hamas, “dénominateur communˮ
Les choses ont empiré quand un leader du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh, a été assassiné à Dubaï en janvier 2011. Alors que le Hamas maintient que le Mossad était derrière l’assassinat (comme le prouvent des enregistrements vidéo), deux des suspects arrêtés à Dubaï pour leur implication supposée et pour avoir fourni un soutien logistique à l’équipe de tueurs du Mossad - Ahmed Hassanain et Anouar Shheibar – travaillaient pour une entreprise de BTP de Dubaï appartenant à Dahlan. Ils sont aussi liés à un escadron de la mort commandé par Dahlan à Gaza, qui était chargé de liquider des dissidents palestiniens.


Hommage au martyre Mahmoud al-Mabhouh
La reprise de la chamaillerie entre Abbas et Dahlan confirme les nombreux soupçons des détracteurs du Fatah sur le rôle joué par la direction du mouvement dans la conspiration avec Israël pour détruire la résistance. Mais bizarrement, Abbas et Dahlan continuent de se présenter comme les sauveurs des Palestiniens, tout en s’accusant mutuellement d'être des collabos d'Israël et des larbins des US-Américains. La plupart des Palestiniens ne sont pas du tout amusés, et même le dirigeant du Hamas Moussa Abou Marzouk a appelé Abbas et Dahlan à  “se retenir d’échanger des accusations qui ne servent que les intérêts israéliensˮ. Il a ajouté : “Le Hamas prend ses distances avec les querelles entre Abbas et Dahlan, même s'il [le Hamas] est un dénominateur commun entre les deux partiesˮ.
Le commentaire d’Abou Marzouk sur le  “dénominateur communˮ se référait à la liste des accusations d’Abbas contre Dahlan, dont le rôle supposé de ce dernier dans l'assassinat, en 2002, du leader du Hamas Salah Shehadeh, de sa famille et de plusieurs de leurs voisins dans une frappe aérienne israélienne. Abbas a aussi laissé entendre que Dahlan avait joué un rôle dans l’empoisonnement d’Arafat en 2004. Le président de l’AP évoquait  “trois espionsˮ qui travaillaient pour Israël et avaient commis des assassinats de Palestiniens de haut niveau. Outre Dahlan, il citait  Hassan Asfour, un autre membre de la  “Bande des Cinq ». Le Hamas a immédiatement demandé une enquête.
On est en droit de se poser une question : si Dahlan était impliqué dans ces crimes au vu et au su des leaders du Fatah et des responsables de l’AP, pourquoi ceux-ci ont-ils continué à confier à Dahlan des responsabilités dans des domaines sensibles ? Le moment choisi par Abbas pour passer à l'attaque n’est pas du au hasard. Abbas redoute de plus en plus une tentative, impliquant les puissances régionales, de réintroduire Dahlan dans la scène politique palestinienne. Pour Ramallah, le séjour confortable de Dahlan aux Émirats, ses rencontres fréquentes avec le gratin de l’armée égyptienne son accès à de grosses sommes d’argent sont autant de sources d’inquiétude.

Accès aux médias
La plateforme médiatique choisie par Dahlan pour répondre à Abbas le 16 mars est intéressante. Il a lancé son attaque sur la chaîne privée de télévision Dream2 en Égypte. Durant une interview qui a duré des heures [exactement 2 heures et 27 minutes, Note de Tlaxcala], Dahlan s'est vu offrir un espace incontesté pour exposer son agenda politique.  “Le peuple palestinien ne peut plus supporter une catastrophe comme Mahmoud Abbasˮ, a dit Dahlan.  “Depuis le jour où il a pris le pouvoir, les tragédies ont frappé le peuple palestinien. Je suis peut-être un de ceux qui sont à blâmer pour avoir infligé cette catastrophe au peuple palestinien ˮ. (lire une transcription d'extraits en anglais)
Il n'est pas clair en quoi Dahlan est responsable d'avoir "porté" Abbas au pouvoir, mais il est évident que le bras de fer entre les deux hommes qui ont été autrefois alliés contre Arafat a atteint un nouveau niveau. Dahlan a tenté de se donner une stature d'homme d'État, mais il n'y a pas réussi.  “Je ne veux pas m'éterniser sur ce discours ridicule dans lequel Mahmoud Abbas s’est couvert de honteˮ, a dit l’ancien chef de la sécurité.  “Il se fiche de savoir si d’autres gens l’insultent ou s’il se couvre de honte. Il est habitué à ce que les gens le traitent avec mépris… Quand (le Fatah était) en Tunisie, ils l’appelaient le président de l’Agence Juiveˮ.
Quand le Hamas a investi la maison de Dahlan à Gaza en 2007, ils ont découvert un énorme stock d’armes non enregistrées et des milliers de balles. Ils ont aussi trouvé des piles de photographies de lui avec des hauts responsables militaires et du renseignement israéliens. Les photos suggéraient des relations amicales entrent Dahlan et les leaders israéliens responsables d’une violence considérable contre les Palestiniens.
Mais les aventures de Dahlan, semble-t-il, ne se limitent pas à des déclarations à l'emporte-pièce sur le président de l’OLP. Ses partisans dans le désert du Sinaï sont soupçonnés d'y faire des ravages des ravages et d’être fortement impliqués dans la violence dans la région. Et sa femme a été accusée de distribuer de grosses sommes d’argent à des Palestiniens sélectionnés dans les camps de réfugiés au Liban. La saga de Dahlan va connaître des développements, et elle est inextricablement liée au coup d’État en Égypte et au rôle des Émirats dans la région. Les membres et sympathisants du Fatah qui ne sont loyaux ni envers Abbas ni envers Dahlan pensent que leur mouvement doit récupérer son identité révolutionnaire, la raison même de son existence.
 

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