jeudi 23 août 2012

Mo et Saamiya, les deux faces de la Somalie

par Igiaba Scego, 18/8/2012. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
 Mo Farah, qui est arrivé en tant que réfugié au Royaume-Uni, est maintenant un héros national : après avoir remporté le 10 000 et  le 5 000 mètres, il a également été reçu par Cameron. Saamiya, en revanche, qui avait couru le 200 mètres aux JO de Pékin – il n’y avait là que deux athlètes somaliens – n’était pas à Londres : elle est morte dans une charrette de la mer  en essayant d'atteindre l'Occident pour échapper à la guerre.
Une des photos des Jeux Olympiques de Londres les plus partagées sur les réseaux sociaux était celle d'Usain Bolt dansant à côté du jeune et étonnant athlète britannique Mo Farah. Le roi des Jeux Olympiques plaisante pas avec le roi d'Angleterre, a-t-on entendu de toutes parts.  En fait, Mo Farah après avoir triomphé dans ses deux disciplines, le 10 000 mètres et le 5 000 mètres, a été célébré en grande pompe aussi bien par par les institutions que par le public de son pays.
Cameron l’a reçu à Downing Street, les Postes royales ont fait repeindre d’or en son honneur la boîte aux lettres devant le bureau de poste d’Isleworth et de nombreux Britanniques envisagent, après son exploit, d'appeler leurs prochains enfants Mo. En peu de temps, un garçon simple et un peu timide est devenu le symbole de tout un pays. Et même, à y regarder de plus près, de deux pays. En fait, Mo Farah est d'origine somalienne. Il est né en 1983 à Mogadiscio, en Somalie, un pays encore ravagé par une terrible guerre civile.
 
Aujourd'hui, la Somalie est à la veille d'un vote délicat, le 20 août on élira un nouveau président. Une élection très attendue qui pourrait vraiment conduire le pays vers un avenir de paix et d'espoir. Il y a encore beaucoup de doutes, l’issue de l'élection est incertaine, mais les Somaliens semblent cette fois-ci y croire sérieusement. Même ceux qui se sont réfugiés à l'étranger envisagent maintenant de rentrer, sinon pour toujours, du moins pour jeter un coup d’œil. Les vols à destination de Mogadiscio sont pleins depuis des mois, il n'y a plus de places jusqu'en novembre, disent les gens bien informés.
 
Il y a une ébullition. Certes, trouver une maison à Mogadiscio n'est pas facile. Seul un petite portion de territoire a été «pacifiée». Et c'est dans cette partie que se déroule la vie politique et sociale de la nouvelle Somalie. Tout cela a bien sûr un coût prohibitif et cela ne met pas à l’abri d’éventuels attentats-suicides d’Al Shabab, le groupe fondamentaliste somalien lié au terrorisme international. Pour cette raison, les loyers montent en flèche à Mogadiscio. Les prix du marché de l'immobilier frôlent ceux du Marais à Paris. Pur surréalisme de  guerre.


Mo Farah exulte avec Usain Bolt
Mais beaucoup de gens puisent dans leurs économies pour  pouvoir assister à une journée annoncée par beaucoup comme un événement historique. Certains ont ouvert des restaurants après 25 ans de vie en Occident, d’autres font de l’'import-export entre la Turquie et la Somalie, d’autres encore ne sont là que pour la nostalgie. Il y a un peu de tout dans ce Mogadiscio de 2012. Une réalité en mouvement dont les médias mondiaux s’occupent peu et toujours avec les vieux schémas de la guerre froide. Et c’est cette réalité en mouvement que Mo Farah a en quelque sorte représenté avec sa foulée de guépard. Une course impossible à arrêter que la sienne. Et très belle.
 
Une course qui a pu s'épanouir grâce aux efforts de son professeur d'éducation physique Alan Watkinson. Mo, qui se  rêvait ailier droit à Arsenal s’est retrouvé au lieu de cela, par une nuit  d'août, couronné roi d'Angleterre dans un stade. Le garçon réfugié qui ne parlait pas un mot d'anglais est devenu une star sportive.  Carrière fulminante que celle du jeune Anglo-somalien. On n’oubliera pas de sitôt  l'étreinte de sa fille Rihanna et le baiser de Tania, sa compagne, enceinte de jumeaux. Cartes postales à encadrer, surtout pour une communauté comme la somalienne, qui a tant souffert ces dernières années.
 
Mais les faces d'une médaille sont toujours deux. Si l’une montre la gloire de Mo Farah, l'autre raconte l'histoire d'une Somalie qui souffre encore et qui a cessé de croire en un avenir possible sous l’équateur. C’est un ancien athlète somalien, le seul à avoir remporté une médaille pour ce pays en conflit perpétuel, qui est venu rappeler la face obscure de cette histoire. Son nom est Abdi Bile. Inconnu en Occident, c’est un héros pour ses compatriotes qui se souviennent encore avec émotion la médaille d'or aux 1500 mètres gagnée aux championnats du monde de Rome en 1987.
 
Abdi Bile, vieilli mais toujours indompté, s’est adressé dans un Somalien du passé au public rassemblé pour entendre les membres du Comité National Olympique. Abdi Bile pose une question, il demande: «Savez-vous ce qui est arrivé à Saamiya Yusuf Omar?". Personne ne connaît cette fille. Abdi Bile explique patiemment qu'elle a pris part aux Jeux de Pékin en 2008. Il étaient deux à porter le drapeau de la Somalie lors de la parade olympique, l’une était justement Saamiya. Les gens murmurent.
 
Ils ont un peu honte de ne pas connaître le nom  de cette jeune fille qui est allée toute seule  courir le 200 mètres à Pékin. Abdi Bile a une voix étranglée, il ne sait pas comment continuer son histoire. Une larme coule sur son visage marqué. Quelqu'un lui tend un mouchoir, mais il dit « je n'en ai pas besoin «  et continue : « la jeune fille, Saamiya est morte... morte en essayant d’atteindre l'Occident. Elle avait pris une charrette de la mer qui aurait du la conduire de Libye en Italie. Elle n’y est pas arrivée. C'était une très bonne athlète. Une fille splendide. »


L'athlète somalienne Saamiya  Yusuf  Omar
Le public applaudit. Un peu pour désamorcer cette infâme tension, un peu parce que cette douleur est aussi la sienne. Toutes les familles somaliennes ont eu affaire  à ces charrettes. Tout le monde a eu des parents prisonniers dans les camps libyens ou morts en Méditerranée. Saamiya et Mo, deux destins similaires qui ont emprunté des chemins différents. Saamiya, comme Mo, avait fait beaucoup de sacrifices  pour participer aux Jeux de Pékin en 2008. Le pays était dominé par des fondamentalistes islamiques, qui ne voient pas d’un bon œil une femme faisant du sport. Mais Saamiya avait des rêves. Elle avait grandi dans la pauvreté, aînée de six enfants. Elle voulait y arriver à tout prix. Elle sentait qu’en s’entraînant bien, elle aurait quelque chose en retour.
 
Londres 2012 était à son programme. Après Pékin,  la terre magique qui avait donné refuge à un grand nombre de ses compatriotes ne lui semblait plus si lointaine.
 
En surfant sur la toile, vous rencontrerez souvent le visage adolescent de Saamiya. On la voit dans l'uniforme bleu de la Somalie et avec un bandeau blanc retenant ses belles tresses noires. Wikipedia a une fiche sur elle. Wikipedia sait que Saamiya est née en 1991, la première année de la guerre en Somalie, mais ne sait pas qu’elle est morte en Méditerranée.
 
Mo Farah  et Saamiya Yusuf Omar, deux jeunes, le même pays de naissance, des destins croisés et opposés. « Nous sommes ravis pour Mo, il  est notre fierté», a déclaré Abdi Bile , « mais n'oublions pas Saamiya ». Le président (ou la présidente: Il ya deux femmes candidates) qui sortira des urnes devra tenir compte de ces deux destins s’il ou elle veut  conduire ce pays blessé vers un avenir sans guerre.

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