mercredi 18 janvier 2012

L’expression “GI” et le mouvement au sein de l’armée US pendant la guerre contre le Vietnam

"Les grosses boîtes s’enrichissent, les GI meurent "
par  John CatalinottoTraduit par  Omar Mouffok, édité par  Fausto Giudice, Tlaxcala 
L’article suivant a été inspiré par une discussion entre traducteurs de Tlaxcala à propos de la signification de l’expression « GI » utilisée pour désigner les soldats US.
À partir de 1936, l’armée US a utilise l’abréviation GI pour Government Issue (Affaire du Gouvernement). Pendant la Second Guerre Mondiale, cette abréviation est devenue le surnom utilisé notamment pour les soldats US, mais il pouvait également être utilisé pour des Marines et des membres de l’Air Force (forces aériennes US), surtout pour les soldats ayant des grades inférieurs, qu’ils soient des conscrits ou bien des personnes s’étaient engagées pour devancer l’appel. L’expression est encore utilisée de nos jours, mais pas aussi souvent qu’auparavant.



Pendant la guerre US contre le Vietnam, ceux parmi nous qui considéraient les troufions de l’armée US comme des travailleurs sous l’uniforme [cf. le slogan français des années 1970 : « Soldat, sous l’uniforme, tu restes un travailleur, NdE], utilisaient le terme « GI » dans leurs slogans afin de souligner les différences de classe. En avril 1966, un groupe des nôtres faisant partie de la Jeunesse Contre la Guerre et le Fascisme (Youth Against War and Fascism) s’est rendu à la Bourse de Wall Street et a accroché une grande banderole au-dessus du tableau d’opérations boursières  sur laquelle était inscrit « Les grosses boîtes s’enrichissent, les GI meurent ».


En 1966 et au début de 1967, de petits groupes de GI dissidents ont démontré qu’une perspective de classe sur les plus de 3 millions de GI faisait sens. Nous avons travaillé avec un groupe conduit par un ex-étudiant radical, le soldat Andy Strapp. A la fin de 1967, le groupe de Strapp, avec notre encouragement, a fondé l’American Servicemen’s Union (Union des Militaires USaméricains).* L’ASU a utilisé le terme GI pour désigner ses membres des grades inférieurs et non pour les officiers et sous-officiers.

Les forces USaméricaines au Sud-Vietnam ont atteint des effectifs de 500 000 en 1967. Le contrôle US du ciel et la puissance de feu US ont tué beaucoup de combattants de la guérilla vietnamienne. Cependant, les GI ont également commencé à se faire tuer en grand nombre, et ils ont atteint leur point culminant de pertes en janvier 1968, lors de l’offensive du Têt, quand la guérilla a nt attaqué des bases et des QG US à travers tout le Sud-Vietnam.


Des étudiants manifestent avec une banderole de l' American Servicemen's Union. Photo Leo Theinert. University of Wisconsin Digital Collections
Des vétérans éprouvés par les batailles sont retournés aux USA en 1967 et 1968 après avoir accompli un an au Vietnam. Ils ont partagé leurs expériences de guerre avec les nouvelles recrues, ce qui a permis de retourner beaucoup de ces derniers contre la guerre. Au début de 1968, la plupart des GI se considéraient comme tout sauf des soldats professionnels. Beaucoup d’entre eux s’identifiaient à la jeunesse civile révoltée, ils détestaient le fait d’être dans l’armée, ils détestaient leurs supérieurs et ne voulaient pas du tout participer à la guerre du Vietnam. Les GI noirs s’identifiaient au mouvement des Droits Civiques, parfois aux Black Panthers, et dans certains cas, aux combattants vietnamiens.

Entre 1967 et 1971, j’étais un coordinateur civil de l’ASU et chargé de la diffusion de The Bond, le journal mensuel de l’ASU. A la fin de 1967, nous n’avions qu’une poignée de GI qui lisaient le journal. En cinq mois, vers mai 1968, la liste des abonnés est montée en flèche pour atteindre les 3000.

En août 1968, et en octobre de la même année, j’étais à Killeen et à Fort Hood, au Texas, avec d’autres membres de l’ASU, pour participer à la défense légale et politique du groupe de soldats noirs connus sous le nom des Fort Hood 43. Ces GI avaient refusé d’aller à Chicago pendant la Convention Nationale du Parti Démocrate du mois d’août parce qu’ils ne voulaient pas être utilisés contre la communauté afro-américaine – il y a eu des centaines de révoltes organisées par des Noirs en 1967 et après l’assassinat de Martin Luther King en avril 1968 ; parfois, des soldats ont été utilisés pour les réprimer.



Le journal The Bond a pu, finalement, être diffusé parmi des centaines de milliers de GI, et l’ASU n’est devenue qu’une partie d’un mouvement plus large qui comprenait des « cafés » anti-guerre (anti-war ‘coffee houses’) dans des villes hébergeant des bases, et plus de 200 lettres d’information de GI à travers le monde. La lutte héroïque du peuple vietnamien pour libérer son pays et la lutte de libération des Noirs ont été le moteur de la résistance au sein de l’armée US. Cependant, beaucoup de GI détestaient également les ordres qu’ils recevaient et ceux qui les donnaient ; ils détestaient les privilèges du grade. Certains GI ont même jeté des grenades à fragmentation dans les tentes de leurs supérieurs au lieu de les suivre dans la bataille, ce qui a donné le terme « fragging » [de frag, abréviation argotique de grenade à fragmentation, NdE].

Je n’ai jamais vu se développer à l’intérieur des USA un mouvement plus dynamique et ayant plus de potentiel révolutionnaire que celui des GI. Cela a même menacé de bouleverser la chaîne de commande du pouvoir de l’État impérialiste. Même le colonel des Marines, Robert D. Heinl Jr. a écrit dans le Armed Forces Journal (7 juin, 1971) : « Selon tous les indicateurs concevables, nos forces qui restent au Vietnam sont au bord de l’effondrement, avec des unités qui évitent ou qui refusent d’aller au combat, qui tuent leurs propres officiers et sous-officiers, qui se droguent et qui, lorsqu’elles n’organisent pas de mutineries, sont démoralisées ».


Des étudiants manifestent contre la conscription. Photo Gary Schultz.
University of Wisconsin Digital Collections

Le Pentagone a été obligé de s’adapter en fonction de son expérience au Vietnam en mettant fin à la conscription et en rendant le service militaire plus professionnel. Il a « sous-traité » certaines opérations logistiques à des sociétés de mercenaires. Sa nouvelle technologie, comme l’usage des drones, a épargné à plus de troupes de s’exposer sur la ligne de feu. Le rôle du million de soldats actuels et la possibilité de les organiser nécessitent une discussion à part entière sur les conditions actuelles.

Revenons-en à notre discussion terminologique. Par respect pour le reste de l’hémisphère occidental, en regardant la chose de façon rétrospective, nous aurions du éviter d’utiliser le mot « Américain » pour nous référer à l’impérialisme US, et « servicemen » est incorrect, puisqu’il y a également beaucoup de femmes dans l’armée. Nous aurions dû appeler le groupe (ASU) simplement l’Union des GI.
*Up Against the Brass -- The amazing story of the fight to unionize the United States Army, by Andy Stapp, Simon and Schuster, 1970.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire