mercredi 21 décembre 2011

Pogroms et massacres racistes en Italie : une sombre actualité lourde de menaces

par Annamaria Rivera, 15/12/2011. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
En quelques jours, le ventre raciste de l'Italie a enfanté un pogrom raciste contre une communauté rom et un carnage de citoyens sénégalais accompli sur le mode du Ku Klux Klan.

Le premier événement s'est produit dans un quartier populaire par excellence, Le Vallette de Turin, le second entre la banlieue et le centre de Florence, une ville réputée tolérante, démocratique, civilisée par excellence. Les victimes du pogrom turinois ont été les boucs émissaires de toujours, ceux qui – à en croire les sondages et enquêtes – occupent le premier rang dans l'échelle de l'antipathie, du mépris et de la xénophobie.
En revanche, le massacre de Florence a frappé ceux qui, parmi les migrants, sont les plus «intégrés», acceptés, sinon aimés.
Dans les deux cas, l'information s'est comportée en fonction de cette compulsion de répétition, qui est l'une des caractéristiques du cercle vicieux du racisme italien. De fait, même un quotidien progressiste comme La Repubblica semblait dans un premier temps donner crédit à la fausse accusation de viol contre les Roms, concoctée par une jeune «pécheresse» au cerveau bourré de stéréotypes racistes (“ils puaient”, “il y en avait un qui avait une grosse cicatrice sur le visage” ...). Et ce n’est pas là l’exemple le plus scandaleux. La Stampa a fait bien pire. En fait, l’article de faits divers du 10 décembre,  signé par Massimiliano Peggio (le jeu de mots est involontaire – peggio signifie pire, NdT -), était titré : “Elle met en fuite deux Roms qui ont violé sa sœur. La victime avait seize ans: chasse aux agresseurs”.
Même face à une  violence meurtrière aussi ouvertement raciste que celle de Florence, un autre journal, La Nazione, n’a pas su résister à la tentation de parler de “règlement de comptes”.

Florence, 17 décembre 2011: manifestation contre le massacre

La presse grand public ne s’était pas comportée autrement après le massacre par la Camorra de six travailleurs sub-sahariens, commis en 2008 à Castelvolturno : les premiers articles de faits divers avaient tenté de suggérer la thèse d'un affrontement entre clans [sous-entendu mafieux, NdT] de différentes nationalités. En ce mois de septembre 2008, seule une minorité d'Italiens – les habituels antiracistes: intellectuels, militants, médias de niche – s’était alarmée pour l'escalade de violence raciste qui en quatre jours avait fait sept victimes, d'un bout à  l’autre de la péninsule: en plus du massacre de Castelvolturno, Abdul Guiebre, un Italien de dix-neuf ans de parents burkinabés, avait été assassiné à Milan.

Aujourd'hui, l'histoire se répète: les pogroms contre les Roms - au sens propre du terme, même si pour l'instant ils n’ont pas provoqué de morts – se produisent sur le même mode dans le Sud comme dans le le Nord de l'Italie, souvent dans des quartiers autrefois 'rouges' et ouvriers, souvent inspirés aussi par des intérêts économiques assez concrets. Aux Vallette la mèche symbolique qui a déclenché le feu réel du campement rom a été une accusation tirée du manuel du bon raciste antigitan.
La légende qui dans un autre quartier populaire, Ponticelli, à Naples, également en 2008, a servi de détonateur à une attaque raciste obligeant tous les Roms de la zone à fuir, était encore plus classique : la fille d'un camorriste avait accusé une Rom  de seize ans d’avoir tenté d’enlever son bébé. La pauvre fille fut condamnée plus tard à une peine sévère par des juges qui avaient peut-être aussi été élevés par des parents qui les menaçaient : «Ne fais pas le vilain, sinon les Gitans vont t’enlever !». Dans les deux cas le pogrom se déroule selon un scénario typique où le protagoniste est une foule en colère comprenant des petites familles, femmes et enfants inclus, selon ce que rapportent les médias.
Le massacre de Florence est plus ”anormal“, du moins dans le contexte italien. Et il menace de marquer un tournant dans les deux décennies jalonnées de crimes racistes qui commencent en 1989 avec l'assassinat de Jerry A. Masslo. Et pas seulement parce qu’il a été commis par un tueur, Gianluca Casseri, ouvertement raciste, nazi, négationniste, adhérent ou de toute façon fréquentateur habituel de la Casa Pound*, les «fascistes du troisième millénaire», trop souvent protégés et légitimés par la  droite «respectable», et dans certains même banalisés par les milieux de gauche. Ce qui rend ce massacre encore plus alarmant, c'est qu’il a été commis non pas dans un environnement marginal, dégradé, caractérisé par des conflits de voisinage, mais au cœur de Florence, avec froideur et détermination, sans aucune personnalisation des cibles, choisies simplement parce que “nègres” et donc bons à abattre comme du gibier.
Par ailleurs, entre l’ embuscade meurtrière de Place Dalmazia et la nouvelle tentative de massacre à San Lorenzo passent plus de deux heures: c'est seulement après que “les enquêteurs se lancent à la poursuite du meurtrier”, pour parler comme les journaux. Quelque chose de semblable est arrivé aux Vallette: la police est arrivée seulement après la fin du défilé et du pogrom. En aurait-il été de même si un "extracommunautaire", comme ils disent, s’était lancé dans une chasse aux blancs, armé d'un magnum 357? Ou si des "Tziganes" s’étaient mis en marche pour mettre le feu à un quartier aisé de Turin?
Gianluca Casseri et ses petits camarades de Casa Pound

Aujourd'hui, on essaie de faire passer Casseri pour un fou isolé, alors qu'en fait, il était un collaborateur régulier d'innombrables sites web et journaux en ligne, en compagnie de gros bonnets de la «pensée» d'extrême-droite. Parmi ces derniers, Gianfranco De Turris, connu pas tant comme un «spécialiste» de l'œuvre de Julius Evola, que comme rédacteur en chef culturel du journal radio de la  RAI. Il n’y a pas d’ entreprise ‘culturelle’ du tueur suicide (ou suicidé ?) qui ne voient les deux hommes associés.  Casseri et de Turris sont côte à côte dans le Centre d’études La Rune (qui a désormais, montrant peu de respect pour le défunt, effacé ses articles). L'échange de deux Tous deux échangent les rôles de conférencier et de modérateur dans de nombreux colloques et rencontres (voir, avant qu’ils la suppriment la page http://ko-kr.facebook.com/note.php?note_id=335652373875). Et l'un, de Turris, a écrit les préfaces ou présentations des œuvres de l'autre.


Gianfranco de Turris

Un fou isolé ? Qu’on nous explique alors comment il se fait qu’ un journaliste de la RAI ait fréquenté un tel fou, et que la RAI explique aux citoyens italiens pourquoi elle a (ou a eu pendant de nombreuses années) comme rédacteur en chef quelqu’un qui, en plus de commenter et de diffuser des merdes néo-nazies, avait des fréquentations aussi dangereuses. Casseri était entre autres un collaborateur actif du site Stormfront, avatar du Ku Klux Klan. La référence au style cagoulard du carnage florentin n’est donc nullement métaphorique.

Pour conclure : depuis de nombreuses années la soussignée tente de mettre en garde contre la soudure dangereuse qui s’est opérée en Italie entre racisme institutionnel et populaire, grâce à l’œuvre «pédagogique» menée par la Ligue du Nord ainsi que par des dirigeants et administrateurs de toute tendance, avec la complicité active d’une bonne partie des médias et la connivence, explicite ou implicite, d'une certaine élite. Aujourd'hui, il est évident que le cumul de paquets de sécurité, de lois et règlements visant à discriminer, inférioriser, harceler les immigrants et les Roms a également atteint son deuxième objectif: allumer les torches de foules furieuses et armer le bras de tueurs racistes. Avec l'avancée de la crise, du chômage et de la paupérisation des masses, de la désintégration sociale et du ressentiment collectif qui devient racisme, nous en verrons de plus en plus. A moins que le conflit social ne s’engage dans le bon chemin de la lutte contre les puissances financières et économiques responsables d'une telle catastrophe, et contre leurs cliques d’affairistes incrustées dans les institutions.

*CasaPound est un squat situé à Rome dans le quartier de l'Esquilino. Il est d'idéologie nationaliste-révolutionnaire et fasciste et tire son nom de l'écrivain Ezra Pound. Selon Gianluca Iannone, musicien du groupe Zetazeroalfa et animateur de la CasaPound, le mouvement compterait environ 2000 membres encartés et quelques dizaines de milliers de sympathisants. Il y a un deuxième squat nationaliste à Rome, Casa Montag.(NdT)
 

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