mercredi 1 octobre 2008

Comment échapper à la vraie-fausse monnaie de singe : les clubs de troc en Argentine

Une expérience utile de sécession économique
par Jorge ALDAO

En ces temps de “crise financière mondiale”, l’expérience argentine s’avère très instructive.
En Argentine, le recours aux « clubs de troc » a trouvé son origine dans la réaction à la l’application de la politique économique des années 90, qu’un Ministre des Relations Extérieures du gouvernement de ce pays avait définie comme étant une « relation charnelle avec les USA » (et évidemment, avec le FMI).
Ces “relations charnelles” avaient généré un déclin économique et social qui déboucha sur une crise et sur la chute du gouvernement élu du président Fernando De la Rúa en décembre 2001.
Cette situation complexe avait obligé Adolfo Rodríguez Saa, premier des 4 présidents, qui se sont succédés en 11 jours dans ces circonstances particulières, à déclarer le pays en cessation de paiement de la dette extérieure.
Le défilé de 4 présidents en l’espace de 11 jours, donne une idée de la décomposition institutionnelle du pays, accompagnée de mesures comme le « corralito » (le gouvernement empêchant les retraits bancaires afin d’éviter les « corridas bancaires »), la généralisation du non-paiement des prêts hypothécaires, les pillages dans les banlieues de Buenos Aires, des « cacerolazos » [manifestation bruyante au moyen de casseroles, de bassines, etc. sur lesquelles les protestataires frappent violemment] de plus en plus fréquents organisées par les épargnants contre les banques, le blocage des routes et des rues par des « piquetes » (piquets de chômeurs), et la manifestation qui dégénéra avec de nombreux morts au milieu de l’historique Plaza de Mayo [Place de Mai], poussant De la Rúa à renoncer à la présidence.
C’est donc bien avant, pendant la décennie des années 90 et jusqu’à 2002, que nous autres Argentins avons vécu et subi ce que le monde développé est en train de subir aujourd’hui avec la crise financière mondiale, car l’Argentine avait déjà une économie virtuellement dollarisée, il n’y avait ni argent ni crédit et un taux de chômage très élevé.
Mais finalement, ce fut un avantage, comme ce le fut pour la Russie lorsque sa crise économique avait abouti à une cessation de paiement de la dette souveraine de ce pays.
Car dans les deux cas, le fait d’avoir d’extrêmes difficultés à recourir au financement extérieur, a forcé les deux pays à sortir de la crise en usant de leur ressources intérieures, ce qui pour l’Argentine, signifie aujourd’hui un montant relativement bas de la dette extérieure (bien que la dette intérieure soit élevée).
C’est pour cela qu’après 2002, lorsque l’Argentine est entrée dans une étape de forte croissance avec une diminution du chômage (stimulée par la hausse des prix des produits de première consommation] les « clubs de troc » ont perdu l’importance qu’ils avaient eu dans les périodesments les plus critiques.
Et même si aujourd’hui, ils connaissent un certain regain, ce n’est pas dû à la crise financière mondiale et à ses conséquences pour l’Argentine (qui parvient à les amortir) mais plutôt à cause du gouvernement pseudo-progressiste de Cristina Fernández de Kirchner, qui recule sur le secteur économique et privilégie, plus que son époux, (l’ex-président Néstor Kirchner) « l’option préférentielle pour les plus riches » (pour paraphraser le Concile Vatican II et la Théologie de la Libération) et les grandes entreprises à qui elle verse toutes sortes d’aides et de subventions.
De toute façon, l’expérience argentine des « clubs de troc » garde toute sa valeur pour les habitants des pays dans lesquels circule la « monnaie de singe »(dinero trucho*) ; en Argentine on parle de « cuasimonedas », « presque-monnaies » (les tickets utilisés par certaines entreprises pour payer une partie du salaire font partie de ces cuasimonedas). Dans les pays frappés par taux élevé du chômage dont les familles manquent de liquidités, les « clubs de troc » ont toute leur utilité.
Dans cette expérience de lutte, il est bon de rappeler une autre remarquable facette ; lorsque la classe moyenne s’aperçut que son épargne et ses dépôts bancaires étaient en train d ‘être confisqués, c’est dans la rue qu’elle descendit manifester en frappant sur des casseroles et en faisant coïncider ses actions avec les manifestations des piqueteros chômeurs autour d’un même slogan « piquet et casserole, un seul combat» ("piquete y cacerola, la lucha es una sola")
Mais cette « romance » entre, d’un côté, la classe moyenne spoliée par les banques et de l’autre les ouvriers sans emploi à cause des délocalisations des usines, n’a guère duré. Dès lors que les caceroleros étaient parvenus à récupérer leur épargne, leur slogan unitaire fut oublié. Ils se sont retournés contre les piqueteros en se plaignant qu’ils barraient les routes et empêchaient la libre circulation. Oubliée aussi, la violence de la part de cette classe moyenne - lorsque le gouvernement avait inventé le « corralito » - déferlant contre les banques et leurs employés ; (Ils en étaient arrivés au point de frapper et de cracher à la figure des employés des banques qui ne pouvaient faire autrement que de leur refuser le paiement de leur épargne. La destruction des façades de certaines banques faisait également partie de leur violence).


Les clubs de troc
En Argentine, c’est en 1995 que les clubs de troc prennent formellement naissance, lorsqu’un groupe de personnes (qui depuis un certain temps déjà, se réunissaient au sujet des problèmes écologiques dans leur zone, située à Bernal, une commune de la banlieue de Buenos Aires) décida de prendre à bras le corps le problème du chômage qui excluait, de facto, leurs voisins, du marché formel, par manque de revenus leur permettant de subsister.
Cette exclusion provoquée par le chômage brutal n’était pas seulement la conséquence de la délocalisation, vers le Brésil ou la Chine, des usines argentines, mais également de l’implantation à grande échelle des chaînes de supermarchés qui achetaient massivement leurs produits à l’extérieur, acculant à la fermeture les petits commerces qui achetaient et vendaient des produits du pays.
En outre, la situation de la population s’aggravait – même celle qui travaillait dans les administrations provinciales et municipales – puisque la politique économique avait déjà privé de finances ces administrations locales qui avaient pallié leur défaillance, en émettant des « bons de dette publique » avec lesquels ils s’acquittaient d’une partie des salaires mensuels déjà très bas, des employés publics.
Cependant, beaucoup de commerces n’acceptaient pas cette « cuasimonedas » (avec ces noms curieux de produits telluriques, tels les« Patacones », « Quebrachos » et « Federales » ou des noms techniques comme « Lecop », « Lecor », « Bocanfor », « Bocades » etc…) de la part de la population à faibles revenus qui souffrait de manques sérieux, vu que ces bons représentaient jusqu’à 30% de la monnaie en circulation dans le pays, mais bien qu’ils étaient acceptés avec prudence dans la province qui les avaient émis, ils étaient refusés dans le reste de l’Argentine.
Face à cette situation – que les créateurs du Club appelaient compétence darwinienne – ils ont imaginé une association de pronsommateurs (« prosumidores »), c'est-à-dire des producteurs consommateurs, une idée attribuée à Alvin Toffler.
Pourtant, de ce concept, pronsommateurs, ils éliminaient l’aspect néocapitaliste qui se nourrit en profitant des avantages de la mondialisation et du développement cybernétique pour que les consommateurs soient, en même temps, les collaborateurs dans la conception ou la production, avec en retour, des miettes pour leur travail, et les plus grands bénéfices pour ceux qui détiennent le contrôle du processus.
Les fondateurs des clubs de troc rappelaient cette phrase d’Henry Ford « si je ne paye pas correctement mes employés, peu d’entre eux pourront acheter mes voitures ». Ils signalaient qu’un employeur se faisait une idée fausse, s’il remplaçait 100 ouvriers par un système industriel robotisé sans comprendre que si tous les industriels agissaient de même, cela engendrait des millions de chômeurs, et que marché pour les produits de ces entreprises disparaîtrait, puisque personne ne pourrait acheter leur production.
Autrement dit, à l’origine du Club de Troc, il y a la conception écologique de l’équilibre entre la nature et l’être humain qui ensuite s’applique à une conception de l’économie dans laquelle on cherche l’équilibre entre producteurs et consommateurs.
Les clubs du troc n’ont aucune affiliation politique ni religieuse, ils fonctionnent seulement sur la base de membres pronsommateurs.
De plus, leur organisation structurelle est horizontale, sans hiérarchie ni permanents payés, chaque pronsommateurs a le droit d’entrer et de sortir du club comme il le désire. Il suffit que chacun respecte l’un des douze principes du Réseau Global du Troc, à savoir la rotation permanente des rôles et des fonctions afin de diminuer les risques de bureaucratisation.

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