dimanche 5 juin 2011

Geração á rasca-Portugal : indignation et représentation politique

par Pedro da Nóbrega, édité par Michèle Mialane, Tlaxcala, 5/6/2011

La tenue des élections législatives au Portugal ce 5 juin est la conséquence de la chute du gouvernement P.S. de Socrátes, Premier Ministre (au Portugal, le chef de l’exécutif). Cette crise politique fait suite au rejet par l’Assemblée Nationale du plan d’austérité imposé par le FMI et la Banque Centrale Européenne en échange d’un prêt destiné à financer la dette du pays. Ce qui est nouveau, c’est la cause de cette chute: le PSD (Parti Social Démocrate), principal parti de droite, a cette fois, pour des raisons électoralistes, voté contre ce plan,  étant donné qu’il a été massivement rejeté par un mouvement social d’une puissance oubliée depuis des années, alors que le PSD avait jusqu’à maintenant adopté une posture très conciliante envers le gouvernement de Socrátes.
En effet, le PS, ne disposant pas d’une majorité au Parlement, n’a pu gouverner qu’avec la complicité du PSD, qui a notamment permis l’adoption d’un budget d’austérité pour 2011, qui s’inscrivait pourtant totalement dans la rigueur budgétaire demandée par le FMI et la BCE. Le moindre des paradoxes n’étant pas de voir ces deux formations se disputer la tête de tous les sondages, les derniers donnant un léger avantage au PSD (35%) sur le PS (32%). La troisième formation politique du pays, le CDS. (Centre Démocratique Social) qui, comme son nom ne l’indique pas, représente la droite la plus extrémiste, reste situé aux alentours de 11 % mais tente surtout de faire oublier qu’il a mis en œuvre une politique similaire pendant des années lorsqu’il soutenait le PSD, alors au pouvoir.

Car un des exercices favoris de cette campagne législative consiste pour les trois formations qui ont trusté le pouvoir depuis des décennies à essayer de masquer leurs responsabilités respectives dans la situation actuelle, qui n’est que la résultante d’une intégration européenne sous le sceau du néolibéralisme, parée à l’origine de toutes les vertus par ces trois formations. A tel point que le Ministre des Finances, Fernando Teixeira dos Santos, l’incarnation du Plan d’austérité qu’il revendique avec fierté d’ailleurs, a été prié de se mettre en congé de campagne pour ne pas gêner ses amis socialistes.

"Le pays est à la dérive"

Cette partie de « poker menteur » n’est pas étrangère à la méfiance envers la représentation politique, illustrée au Portugal par le mouvement « Geração á rasca » (Génération Galère), qui adébuté le 12 mars par la mobilisation de milliers de jeunes travailleurs précaires, à l’image du mouvement des « Indignados » en Espagne ou de la révolte de la jeunesse grecque contre, déjà, les plans d’austérité, mais surtout contre le mépris affiché par les pouvoirs en place vis-à-vis des difficultés de leurs peuples et de leur jeunesse. Néanmoins, les sondages au Portugal, comme les résultats des dernières élections locales en Espagne, montrent d’un côté qu’il ne faut pas surestimer la représentativité sociale de ces mouvements et, d’autre part, que ceux-ci révèlent la difficulté à  trouver une traduction politique à une contestation sociale majeure, cependant nullement dénuée d’objectifs politiques.
Car, contrairement à ce qu’essaient d’accréditer par un matraquage intensif les grands médias occidentaux, si ces mouvements se méfient de toute instrumentalisation partisane, ils ne sont absolument pas apolitiques. En effet, ils interpellent directement les fondements de la politique néo-libérale menée de concert, dans le cadre de l’Union Européenne, par un bloc central constitué par les formations de la droite et de la social-démocratie. Ce bloc central qui essaie depuis des années, par tous les moyens, de circonscrire l’espace démocratique à une alternance qui en est pourtant la négation, car elle évacue toute perspective de changement fondamental de société.
C’est d’abord l’échec de cette stratégie qu’illustrent non seulement les mouvements en cours mais aussi les mobilisations sociales considérables qui se sont développées ces derniers temps. Mais elles trouvent aussi leurs limites dans l’incapacité à trouver une traduction politique dans le cadre des institutions actuelles.
On peut s’étonner dans un tel contexte de la difficulté pour la gauche porteuse d’objectifs de transformation sociale d’occuper cet espace politique. Au Portugal, la CDU (Coalition Démocratique Unitaire, regroupant les communistes du PCP et les Verts) se situe dans les sondages entre 8 à 10 % et le Bloco de Esquerda (Bloc de Gauche, membre du PGE) entre 6 et 8 %.
Mais c’est peut-être dans le rapport aux institutions que se situe l’écueil majeur. Car un des aspects marquants des rébellions sociales en cours est justement une remise en cause majeure du cadre institutionnel actuel dans les pays de l’Union Européenne, avec l’exigence d’une dimension participative bien plus forte qui place sous le contrôle des citoyens les mécanismes de délégation du pouvoir et place au centre des politiques économiques la satisfaction des besoins sociaux et non l’obéissance servile aux diktats financiers.
Le paradoxe réside dans le fait que l’interpellation des schémas institutionnels soit bien plus virulente de la part de ces mouvements sociaux que de la part des organisations politiques qui affichent pourtant des ambitions de transformation sociale, comme le montrent les débats sur le devenir de la monnaie unique européenne et sur l’avenir des institutions européennes.
Sans préjuger des résultats des élections législatives au Portugal, c’est sûrement dans leur capacité à répondre à ces aspirations et à remettre en question leur forme et leur cadre d’intervention que ces formations peuvent ouvrir des perspectives alternatives et aller à la rencontre des nouvelles aspirations citoyennes.
Images du mouvement lancé le 12 mars par la jeunesse portugaise sous le nom de  Geraçao à Rasca ou M12M .
 

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