vendredi 18 mars 2011

150ème anniversaire de l’Unité italienne : La mémoire trahie du Risorgimento

par Paolo Flores d'Arcais, 16/3/2011. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: 150° anniversario dell'Unità d’Italia: La memoria tradita del Risorgimento

“L'Italie n'est qu'une expression géographique”, affirmait le comte Klemens Wenzel Nepomuk Lothar Von Metternich-Winneburg-Beilstein (également prince à partir de 1813). “L'Italie est faite, nous devons maintenant faire les Italiens”, déclara l'écrivain et patriote Massimo Taparelli marquis d’Azeglio, lorsque des décennies de subversion révolutionnaire mazzinienne et garibaldienne, et d’habileté diplomatique cavourienne firent rendre gorge au  cynisme du chancelier de l'Empire austro -hongrois. Lequel a droit aux honneurs de la réhabilitation, de manière honteuse et paradoxale,  juste en pleines célébrations du 150ème anniversaire de l’Unité italienne : et pas de la part de quelques grands historiens en veine de réécriture géopolitique mais par les beuglements ignares du père d’une “truite”* et  les caquètements des patriotes de l’évasion fiscale.
Mais ce spectacle avilissant est aussi rendu possible par un arrière-fond historique et anthropologique : , la “Nation”, la “Patrie”,  les Italiens l’ont toujours très peu sentie. Parce qu’elle n'est jamais devenue une identité commune, et même a souvent été appauvrie par la rhétorique de la propagande de gouvernements et de régimes, salie pour envoyer des millions de jeunes comme chair à canon dans deux "massacres inutiles".

L'identité d'un pays naît de la mémoire partagée. Et une mémoire partagée est toujours et seulement une mémoire choisie. Elle ne peut jamais être constituée de "tout le passé", lequel est évidemment contradictoire, imprégné de déchirements et de conflits, fruit de valeurs antagonistes pouvant aller jusqu'à la guerre civile. “Notre héritage n’est précédé d’aucun testament”, a écrit l'un des plus grands poètes du XXème siècle, René Char, exprimant la vérité de l'identité historique dans sa forme la plus essentielle et irrécusable. On choisit de quoi on veut être les héritiers, en triant dans l’entrelacs contradictoire et incompatible des événements qui nous précédés, ceux qui ont pour nous une valeur symbolique car fondatrice.

L'Italie démocratique ne peut devenir «nation» ou «patrie» que si elle choisit d'être vraiment l’héritière des deux seuls événements fondateurs son passé. Le Risorgimento, et ce second Risorgimento (vécu comme tel par beaucoup de ceux qui y ont donné leur vie) qu’a  été la Résistance antifasciste. Tant que ces deux ruptures historiques, et les valeurs qui sont à leur origine, ne seront pas intériorisées comme patrimoine commun par les citoyens de la péninsule, tant que chaque nouvelle génération dans la famille, dans  l'école, par le petit écran, ne grandira pas en se sentant fille du Risorgimento et de la Résistance, il n’y aura pas d’italiens et il n’y aura pas d’Italie, et le comte Klemens Von Metternich pourra ricaner à son aise dans sa tombe.

Mazzini, Cavour et Garibaldi, par Tchavdar Nikolov
Mais la mémoire, pour être partagée, ne doit exclure personne. Elle doit mettre en commun tout le passé, rendre frères vainqueurs et vaincus , répliquent les historiens plus ou moins de régime, avec plus ou moins de titres universitaires ou improvisés, les Mieli, les Romano, les Galli della Loggia, les Pansa. Les garibaldiens donc, amis aussi les sbires du cardinal Ruffo, les partisans, mais aussi les jeunes républicains de Salò, à en croire certains délires. Au contraire. Aucune identité nationale, donc aucune «Patrie» ne pourra jamais naître sur  des valeurs qui s'excluent mutuellement. La comparaison avec la France voisine peut nous éclairer.

Chaque bâtiment public y porte la devise, souvent en lettres d'or : "République Française: Liberté, Égalité, Fraternité". On exclut donc de la mémoire partagée les masses qui se sont révoltées contre la révolution, les paysans qui sont morts pour la Vendée, avec courage et même héroïquement, bien sûr. L'identité de la nation, de la patrie, celle du «Vive la France!" par lequel le général De Gaulle concluait tous ses discours, est reconnue uniquement dans le testament de la révolution, de sorte qu’on en adopte le drapeau et que d’une chanson insurrectionnelle on fait  l'hymne national. La révolution est la seule mémoire commune, l'autre ne serait que la mémoire de la trahison de la nation, bien que la Terreur ait fait partie de la révolution, dont la condamnation est rendue topographiquement explicite : pas une rue ou une place sont nommées d'après Robespierre. [ici l’auteur se trompe : ceci ne vaut que pour Paris, dont  le maire socialiste a rejeté la proposition de donner le nom de l’Incorruptible à une rue ou place ; mais il y a de nombreuses rues Robespierre ailleurs, de Montpellier à Brest en passant par Montreuil, NdT]

Idem pour la Résistance. Le gouvernement collaborationniste de Vichy est la trahison par définition, bien que le maréchal Pétain ait été légalement mis au pouvoir par le vote majoritaire d'un parlement librement élu. De Gaulle, homme de droite s'il en fut, a imposé l’équation  Résistance = Patrie et refus de la résistance = trahison et cette mémoire partagée a eu une telle efficacité que trois générations plus tard,  la droite française même la plus grossière préfère (est-ce que ça durera ?) perdre les élections plutôt que d’accepter le soutien des Le Pen.
En Italie, en revanche, le Risorgimento a été immédiatement  édulcoré  dans la rhétorique. La nature subversive, révolutionnaire, parfois terroriste des Garibaldiens et des Mazziniens a été gommée, bien que Mazzini et Garibaldi aient  été associés à Marx et Bakounine par toutes les  polices du monde, et que leurs divergences  n’aient jamais rien eu à voir avec une introuvable "modération" des Mazziniens. La mémoire du Risorgimento comme véritable épopée fondatrice a été enfin détruite par l’irrédentisme fasciste, cette ignominie consistant à rapprocher un d'Annunzio de Pisacane. Pire encore avec le second Risorgimento, la Résistance antifasciste. Émasculée dans la rhétorique démocrate-chrétienne, elle est désormais tournée en dérision par les médias de régime, qui se livrent quotidiennement à de lâches outrages.

Comment s'étonner, dès lors, que la nation et la patrie soient absentes dans la péninsule ? L'Italie ne sera nation que si et quand une authentique révolte morale, politiquement victorieuse, réussira à rendre un sens commun aux valeurs qui, du Risorgimento à  la Résistance , ont donné naissance à notre Constitution.

*Umberto Bossi, le chef historique de la Ligue du Nord, avait répondu en 2008 à une question sur son fils Renzo, entré à son tour en politique en Lombardie : "Macché delfino, al massimo è una trota" : “Mais quel dauphin, au maximum c’est une truite”.[NdT]

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