dimanche 27 février 2011

Sihem Bensedrine : «Le gouvernement se prononcera avant le 1er mars sur la Constituante»

Le journal La Presse a publié le 26/2/2011 cette interview de Sihem Bensedrine

Sihem Ben Sedrine chez le Premier ministre

Des idées en partage

Propos recueillis par Samira DAMI

Des idées en partage
• «Le gouvernement se prononcera avant le 1er mars sur la Constituante»
• «La Commission de la réforme politique travaille déjà sur la Constituante»
• «Je n’ai pas d’agenda personnel mais j’ai des idées pour la Tunisie»


Sihem Ben Sedrine est porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie (Cnlt) et rédactrice en chef de Radio Kalima. Elle a fait partie de la délégation composée de 6 personnalités représentant les régions et la société civile tunisiennes qui a été reçue, hier, par M. Mohamed Ghannouchi, chef du gouvernement provisoire.
Elle évoque ici le franc débat qui a marqué cette rencontre. Objectifs :  demander la convocation d’une Assemblée constituante et engager le processus de mise en œuvre des institutions de la future démocratie tunisienne.
La journaliste et militante des droits de l’Homme nous a également entretenu de son action, ses credo et de son agenda politique. Interview et révélations.


Une délégation représentant les acteurs de la société civile et des régions a aujourd’hui rencontré le Premier ministre, au palais de Carthage, vous en faisiez partie. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons organisé hier un rassemblement d’une centaine de personnes devant le Palais de Carthage pour sensibiliser le gouvernement provisoire à l’urgence de convoquer une Constituante.
Le Premier ministre, M. Mohamed Ghannouchi, avec lequel nous avions déjà pris rendez-vous, a reçu une délégation composée de six personnes représentant des régions (MM. Ali Ben Salem de Bizerte, Abdelwaheb Maâtar de Sfax, Hédi Raddaoui de Gafsa) et de la société civile (Mme Lina Ben Mhenni, universitaire et blogueuse, M. Ryadh Ferjani, spécialiste en communication et moi-même, en tant que porte parole du Cnlt).
Nous avons exprimé au Premier ministre du gouvernement provisoire la demande des citoyens pour la convocation d’une Assemblée constituante afin de satisfaire au principal objectif de la révolution et de garantir la légitimité, et la légalité et les principes qui la sous-tendent : la dignité des citoyens, les libertés fondamentales publiques et individuelles, la garantie de la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice, la garantie de la justice sociale et de la répartition des richesses nationales entre les citoyens de façon équitable, la garantie de l’équilibre entre les régions et la décentralisation régionale et enfin la garantie de l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans discrimination aucune et notamment l’égalité entre les hommes et les femmes.
Nous avons eu un débat très franc avec le Premier ministre qui semblait partager, pour une part, notre démarche.
Au final, il nous a promis qu’avant le 1er mars une décision du gouvernement provisoire sera prise concernant la convocation d’une Assemblée constituante. Il nous a informé qu’une équipe  de la Commission de la réforme politique, présidée par M. Iyadh Ben Achour,  travaille déjà sur la Constituante.
Nous avons soutenu également que le fait d’engager le processus institutionnel dans les plus brefs délais contribuerait à apaiser la rue, à refléter une visibilité de l’agenda politique gouvernemental et à rassurer les citoyens sur l’avenir de la démocratie mise sur les rails.
Nous ne sommes pas contre un mandat prolongé des deux institutions présidentielles et gouvernementale provisoire, mais si l’agenda gouvernemental n’est pas clair d’ici le 15 mars, date butoir, nous serons dans un état de vacance institutionnelle.

Les contestataires en sit-in à La Kasbah exigent le départ du gouvernement provisoire. Qu’en pensez-vous ?
Nous pensons que le gouvernement provisoire peut partir quand l’opération de la Constituante sera mise en place.
L’urgence pour nous c’est la convocation d’une Assemblée constituante, que le gouvernement soit vraiment provisoire et qu’il ne s’installe pas dans la durée et qu’on prenne les mesures urgentes pour mettre en place les institutions de la démocratie, notamment le Parlement constituant qui aura, ainsi, pour rôle d’investir un nouveau gouvernement et de désigner un président dans six mois dès le jour de la convocation de la Constituante censée être annoncée le 1er mars, si le gouvernement provisoire tient ses engagements.
Ce qui suppose la suspension de la Constitution actuelle et la dissolution de toutes les chambres et les institutions de l’ancien régime (Chambre des députés, Chambre des conseillers, Conseil constitutionnel), ainsi que les conseils régionaux et locaux.

Vous confirmez bien que c’est là la tendance au sein du gouvernement ?
Je pense que la majorité du gouvernement actuel est favorable à cette solution, sauf un ancien opposant du PDP.

Le Cnlt a organisé des tournées dans les régions, quel en est le résultat ?
Lors de ces tournées dans les régions nous avons discuté avec un grand nombre de citoyens, à Sidi Bouzid, Thala, Redeyef, Gafsa, Sfax, etc., et notamment avec les comités locaux de défense de la révolution qui ont exprimé le sentiment de marginalisation et leur inquiétude du fait que le gouvernement ne communique pas sur la Constituante, ce qui provoque des troubles et des actions de protestation tout à fait légitimes, d’où l’urgence de prendre une décision concernant la Constituante.

Le Cnlt est-il signataire de la déclaration du conseil de protection de la révolution ?
Le Cntl n’est pas signataire de cette déclaration bien qu’il soit l’un des initiateurs de ce projet. Cela parce que ce projet a été, quelque part, dévié de son objectif initial et s’est transformé en un enjeu de pouvoir pour les lobbies. Ce n’est pas notre combat, nous sommes plutôt dans une logique citoyenne. Nous aurions aimé que ce conseil constitue une autorité morale de protection et de sauvegarde de la révolution, mais ce n’est pas important, car nous avons beaucoup d’amis dans ce conseil et nous comptons sur eux pour qu’il n’y ait pas de mandat et de pouvoir décisionnel.
Cela dit, nous continuons notre combat pour faire triompher les institutions révolutionnaires dans le cadre de la société civile. Nous continuons, comme nous l’avons fait par le passé, à coordonner notre action avec l’Association des femmes démocrates et la Ligue des droits de l’Homme. Nous continuons également à consulter les artisans de la révolution dans les régions et qui représentent la légitimité révolutionnaire, nous poursuivons enfin le partenariat avec ceux qui ont fait la résistance à Ben Ali et qui sont l’autre face de la légitimité.
Notre agenda est clair : engager la Tunisie sur la voie de la démocratie, faire obstacle aux visées contre-révolutionnaires. Nous sommes conscients des dangers et de la fragilité de cette période transitoire. Le scénario roumain se profile (l’alliance d’anciens opposants avec les anciens du parti au pouvoir) pour confisquer la révolution, mais notre peuple est vigilant, la société civile est vigilante et ils ne nous auront pas.

Que pensez-vous de la mise sur pied de la commission des médias dont le décret vient d’être signé ?
Il s’agit pour nous d’une mesure également urgente pour faire le nettoyage dans le paysage médiatique. Rappelons que jusqu’à ce jour certains médias publics, notamment les médias audiovisuels, continuent à être dirigés par les anciens caciques du pouvoir et les protestations des journalistes contre les instructions façon Abdelwaheb Abdallah en sont la meilleure illustration.
Les médias privés audiovisuels sont eux, la propriété du clan Ben Ali et il n’existe pas de médias indépendants jusqu’à aujourd’hui.
Cette situation est extrêmement dangereuse, car il n’y a pas de révolution qui puisse réussir sans être accompagnée par des médias révolutionnaires. Or, les médias de Ben Ali continuent à pratiquer la désinformation et la censure sous un habillage révolutionnaire et un discours pseudo-révolutionnaire.
Et, si cette autorité de régulation est menée par des personnalités réellement indépendantes, il y a de l’espoir pour que le paysage médiatique change, que les médias audiovisuels publics soient réellement un service public et que les médias accompagnent la mise en place des institutions démocratiques. N’oublions pas que nous avons des échéances électorales et qu’il n’y a pas d’élections libres sans médias indépendants et pluriels.

On vous a  vue, pourtant, sur les plateaux de ces chaînes
Mais, depuis je suis interdite d’antenne dans ces télés et je ne suis pas la seule. Tous ceux qui ont aujourd’hui un discours construit critiquant les anciens du RCD sont également interdits d’antenne.

En tant que femme comment évaluez-vous l’apport de la femme tunisienne à la révolution ?
La femme tunisienne a honoré son contrat de citoyenne, elle a été partie prenante à toutes les échelles et étapes de la résistance à Ben Ali et de la révolution. Elle est aujourd’hui engagée au même titre que l’homme dans le combat pour les institutions démocratiques. Aucune personne, ni mouvance idéologique n’est en droit aujourd’hui de lui dénier son statut de citoyenne à part entière.

Seriez-vous candidate aux prochaines élections présidentielles ou législatives ?
La question est prématurée. Car je n’ai pas un agenda personnel, mais j’ai des idées et un agenda politique pour la Tunisie. La priorité de mes priorités c’est de tout mettre en œuvre pour que la révolution ne soit pas confisquée et que les institutions de la Tunisie démocratique soit mises sur les rails.
Si nous réussissons ce défi alors je pourrai réfléchir à la question de la candidature que ce soit aux présidentielles ou aux législatives.

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