mercredi 12 janvier 2011

Ben Ali, un dictateur de son temps: il nomme un ingénieur au ministère de l'Intérieur

Zine Abidine Ben Ali vient de prendre une décision historique en remplaçant à la tête de ses polices Rafik Belhaj Kacem - qui était un flic traditionnel - par Ahmed Friaâ, l'homme, qui en tant que ministre des Technologies de la Communication, avait mis en place les structures de la Cyber-Tunisie au début du siècle. Mais en attendant que les forces d'insécurité passent de la répression réelle à la répression virtuelle, elles continuent à tirer à balles réelles aux quatre coins du pays. Hatem Bettaher, un enseignant universitaire et Riad Ben Oun, un éléctricien, ont été tués à Douz et un autre manifestant a été tué à Thala. La révolte continue de s'étendre et commence à se structurer dans la banlieue de Tunis. Le couvre-feu a été décrété dans la capitale. Et alors que Zaba a annoncé la libération des manifestants arrêtés, il a fait arrêter à son domicile Hamma Hammami, chef du petit Parti communiste des ouvriers de Tunisie. Côté rumeurs, le général Rachid Ammar, chef de l'armée de terre, aurait été limogé pour avoir refusé de donner à ses hommes l'ordre de tirer sur les manifestants.
Les figurants changent d'un côté du bureau, mais pas l'acteur principal :
ZABA recevant Friaâ en 2001
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Vincent Geisser, sociologue à l'Institut de recherche sur le monde arabe et musulman

Tunisie : les gages de Ben Ali, symbole d'un "régime aux abois"

LEMONDE.FR | 12.01.11 | 18h38
 

La contestation que connaît la Tunisie depuis trois semaines a dégénéré   en émeutes sanglantes, samedi 8 et dimanche 9 janvier.
La contestation que connaît la Tunisie depuis trois semaines a dégénéré en émeutes sanglantes, samedi 8 et dimanche 9 janvier. AP/Hassene Dridi
Tandis que les affrontement ont gagné la capitale Tunis ,mercredi, le régime tunisien a cherché à trouver une sortie de crise aux émeutes sociales que connaît le pays depuis quatre semaines. Le premier ministre, Mohamed Ghannouchi, a ainsi annoncé le limogeage du ministre de l'intérieur, Rafik Haj Kacem, ainsi que la libération de toutes les personnes détenues depuis le début du mouvement. Il a également annoncé, au cours d'une conférence de presse, la formation d'une commission d'enquête sur des actes de corruption présumés concernant des responsables publics, que dénoncent opposition et ONG. Vincent Geisser, sociologue à l'Institut de recherche sur le monde arabe et musulman, et auteur de plusieurs travaux sur la Tunisie, analyse les motivations et la portée des gages donnés par le président Ben Ali à la population tunisienne pour tenter de mettre un terme à la contestation.
Comment interpréter les mesures annoncées aujourd'hui par le pouvoir tunisien ?
C'est une forme de recul du régime et du président Ben Ali qui montre que le régime est aux abois et tente de trouver une sortie politique. Cette alternance, ce balbutiement entre des formes de répression brutale et des gestes d'apaisement caractérisés par des mesures de relance et le traditionnel appel au dialogue national, est symptomatique de la faiblesse du pouvoir. Un régime qui limoge son ministre de l'intérieur n'est pas un régime qui contrôle la situation. Cet emballement est le signe de son impuissance et de sa volonté de reprendre la main.
Ces annonces doivent beaucoup à un fait nouveau, symboliquement très fort : la propagation du mouvement aux faubourgs de Tunis et aux abords-mêmes du palais de Carthage, lieu de résidence du président. En entrant dans la capitale, le message qui est transmis au régime est : "Donnez-nous notre liberté, partez".


Manifestation à la cité Ettadhamen (Solidarité) de Tunis, mercredi 12 janvier.
Manifestation à la cité Ettadhamen (Solidarité) de Tunis, mercredi 12 janvier.REUTERS/STR
Un deuxième symbole a été touché avec la mobilisation des gens à la cité Ettadhamen (Solidarité) de Tunis, qui est toujours présentée comme un symbole de l'action sociale du président et que Hillary Clinton avait elle-même visité lorsqu'elle était première dame des Etats-Unis. Cela montre que la contestation est en train de devenir un mouvement politique qui dépasse les revendications sociales des étudiants-chômeurs. On est entré dans une phase supérieure, avec un mouvement qui a évolué dans son recrutement sociologique : s'y sont joints les ordres professionnels avec les avocats, qui jouent un rôle énorme, les partis et mouvements d'opposition et, fait marquant, le syndicat unique, qui a toujours eu un rôle de représentation des salariés vis-à-vis du pouvoir et qui ici joue un rôle oppositionnel. Aujourd'hui, on retrouve ainsi dans le mouvement des cadres moyens et supérieurs, ainsi que des lycéens.
Les mesures annoncées par le pouvoir sont-elles susceptibles de faire retomber la mobilisation ?
Il y a une telle montée de la haine contre Ben Ali qu'il n'est pas sûr que ces annonces aient un effet d'apaisement : ce que veulent les manifestants, c'est le départ de Ben Ali. On a bien vu déjà qu'après l'annonce lundi de la création de milliers d'emplois pour les diplômés, les manifestations ont redoublé... Pour calmer la contestation, la poursuite de la répression et les vagues d'arrestations auront plus d'effet...
Tout le monde se rend bien compte qu'il s'agit d'un discours de diversion, même si c'est vrai qu'en ce qui concerne le limogeage du ministre de l'intérieur, on touche à un symbole : celui du ministre des ministres, un acteur central du régime qui a clairement une fonction de répression. Mais la population sait très bien que si la police a tiré à balles réelles sur les manifestants, la décision vient directement du Palais. L'annonce par Ben Ali qu'il va lutter contre la corruption a également un côté presque ridicule car cette corruption émane directement du Palais. Elle n'est pas le fait de la haute fonction publique tunisienne, qui est plutôt saine, mais de l'entourage et de la famille du président. La réelle alternative qui se pose au président dans la lutte contre la corruption est de dire "je pars" ou de désigner des boucs émissaires.
Les gages donnés par Ben Ali sont davantage destinés à apaiser les soutiens étrangers et à répondre aux pressions américaines. Cela permettra ainsi au président Ben Ali de gagner à court terme l'apaisement international mais les mécanismes classiques de répression et de surveillance vont être maintenus.

Le président tunisien Ben Ali, lors de son allocution télévisée, lundi 10 janvier.
Le président tunisien Ben Ali, lors de son allocution télévisée, lundi 10 janvier.Reuters/HO
Le régime du président Ben Ali est-il réellement menacé par ce mouvement de contestation ?
On se trouve dans une période de flou et d'incertitude. Cela a beaucoup marqué les jeunes tunisiens qu'on ait pu tirer sur des gens à balles réelles. Dans la tête et le cœur de la population, Ben Ali, c'est fini. Le régime Ben Ali n'est pas fini en tant que système, mais il n'a plus de soutiens. Sa légitimité populaire et auprès des élites tunisiennes est désormais réduite à zéro. On voit mal comment ce régime usé va pouvoir se renouveler. Mais le régime Ben Ali étant ce qu'il est — un système répressif, marqué par une présidence omnipotente, un parti quasi-unique, une presse aux ordres du pouvoir et un degré extrême de verrouillage de l'espace public —, on peut en effet se demander comment il est possible d'insuffler un changement fondamental en Tunisie sans remettre en cause les fondements même du régime ?
M. Ben Ali propose une fois encore une forme de gouvernance axée sur l'ambivalence entre sécuritaire et dialogue. Le scénario que les Tunisiens réclament est que Ben Ali fasse de vraies annonces : celle notamment qu'il partira dans un ou deux ans, qu'il ne se représentera pas aux élections et l'initiation d'un processus de démocratisation, en donnant des garanties pour une réelle solution démocratique. Mais c'est impossible que ce scénario se réalise car on se trouve dans un système nourri par une logique sécuritaire et une logique de corruption. Si on touche à la moindre pièce du système, il s'effondre.
Les éléments de la fin du règne de Ben Ali sont là depuis dix ans. La façade de régime moderne luttant contre l'islamisme est en train de s'effriter. C'est certain que l'on s'oriente dans un nouveau cycle politique, celui de l'après-Ben Ali et que tant que celui-ci n'est pas amorcé, on aura une montée des mouvements sociaux en Tunisie à l'avenir. Mais, la question est de savoir combien de temps il faudra pour que le régime Ben Ali s'effondre ?
Entend-on des voix dissidentes au sein du régime qui pourraient laisser entrevoir une alternative à la présidence Ben Ali ?
Il n'y a pas de voix dissidentes au sein de l'appareil gouvernemental qui est composé de techniciens peu connus en tant qu'acteurs politiques, à l'exception de certains fidèles de Ben Ali. Mais certaines personnalités, ministres et anciens ministres, ont exprimé ces derniers jours des critiques et cela a été une motivation supplémentaire pour Ben Ali de vouloir reprendre l'initiative, car il craint de voir émerger une figure du sérail à même de capitaliser la contestation tout en ayant à la fois la main sur le système.
Certaines rumeurs disent également que ça commence à bouger dans l'armée et dans le parti et qu'il y aurait des frictions entre la police et l'armée.
Propos recueillis par Hélène Sallon

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