vendredi 14 janvier 2011

Après Hatem Bettahar à Douz, Fatma Jerbi Marendaz tuée à Dar Chaabane : personne n'est à l'abri

Désormais, c'est clair : tout un chacun risque sa vie en Tunisie, pas seulement les manifestants, mais aussi les spectateurs, les touristes. Les voyagistes français, belges, allemands et suisses viennent de lancer une opération de rapatriement de leurs clients depuis les stations touristiques tunisiennes. Ce que tous les appels militants au boycott touristique n'étaient pas arrivés à obtenir, la police aux ordres de Ben Ali y est arrivée. Puisse l'opération "plages vides" précipiter la chute du tyran.

Les obsèques de la Vaudoise tuée en Tunisie auront lieu cet après-midi

Enterrement | Les funérailles de la Suissesse décédée en Tunisie dans les émeutes auront lieu vendredi à 15h30. L’autopsie a confirmé qu’elle est décédée d’une balle rentrée dans son crâne.


© DR | Fatma Jerbi Marendaz

ATS | 14.01.2011 | 12:21

Les obsèques de la Suissesse de 67 ans tuée mercredi en marge d’une manifestation dans le nord-est de la Tunisie auront lieu à 15h30, a indiqué vendredi le frère de la victime. Ce dernier s’est rendu en milieu de matinée à la morgue pour recevoir les résultats de l’autopsie pratiquée sur le corps de sa sœur.
«L’autopsie a confirmé qu’elle est décédée d’une balle rentrée dans son crâne», a déclaré Raouf Jerbi. Selon lui, la police a volontairement visé sa soeur. «La police vise tout, même les chiens», a-t-il accusé jeudi.
Le drame s’est produit à Dar Chaabane, près de la station balnéaire de Hammamet. La sexagénaire se trouvait sur la terrasse de sa maison, d’où elle a été témoin de confrontations entre la police et de jeunes manifestants, a indiqué jeudi le coordinateur du Comité de soutien du peuple tunisien (CSPT-Suisse), Anouar Gharbi.
Mariée à un Suisse et vivant dans le Nord-Vaudois, la femme s’était rendue en Tunisie pour y passer des vacances auprès de sa famille a précisé M. Gharbi. Elle aurait dû rentrer en Suisse vendredi.
 Source : 24 Heures

«J’ai vu ma maman allongée par terre. Je la revois encore»


Tragédie | Mercredi soir, Fatma Jerbi Marendaz, une habitante de Mauborget, a été tuée au cours d’une manifestation en Tunisie.


Pascale Burnier et Vincent Maendly | 14.01.2011 | 00:01

«Le policier qui a tué maman n’a pas eu pitié de tirer sur une femme. Je ne peux pas le supporter.» Mercredi soir, Sarra, 12 ans, a vu le corps de sa mère allongé sur le sol. Fatma Jerbi Marendaz, une Vaudoise de 66 ans, mourait sous les tirs de l’enfer tunisien, à Dar Chaabane au Nord de la Tunisie.
Selon son frère de 51 ans, Raouf, elle aurait succombé à une balle tirée par un policier posté sur la tourelle d’une mosquée. Le Département fédéral des affaires étrangères a confirmé hier le décès de cette Suissesse d’origine tunisienne. Elle avait travaillé durant trente ans comme instrumentiste dans plusieurs hôpitaux vaudois.
Le destin brisé de sa soeur, Raouf tient à le raconter sans pudeur. Mais avec rage et tristesse. «Il était environ 18 heures. Dans la rue, il y avait des affrontements entre la police et le peuple. Ma sœur est montée sur le toit de sa maison avec d’autres voisins pour voir ce qu’il se passait. Là, elle a pris une balle dans le cou. Près de l’oreille. Il y avait beaucoup de sang. Deux garçons, des jeunes, sont morts aussi dans la rue ce soir-là.»
«On m’a dit de me débrouiller»
Raouf a essayé d’appeler la police et l’hôpital. En vain. «On m’a dit de me débrouiller, qu’il n’y avait ni patrouille, ni ambulance.» Alors sa sœur, il l’a conduite lui-même à l’hôpital en la sortant de la maison par une ruelle. «Je suis descendu du deuxième étage en portant Fatma. Sarra, sa fille, était en bas, elle jouait à l’ordinateur.» Une fille adoptive qui exprimait hier soir sa détresse par téléphone. «J’ai vu ma maman allongée par terre, pleine de sang, avant qu’on m’éloigne. Je la revois encore. J’espérais qu’elle n’était que blessée.»
Le décès de sa mère, la jeune fille, scolarisée depuis quelques années dans un collège privé à Tunis, ne l’a appris qu’hier en fin d’après-midi. De la bouche de son papa, Eric. «La famille tunisienne avait éloigné ma fille de la scène et ne lui a pas dit ce qui s’était passé, pour que ce soit moi qui le fasse», racontait hier ce mari anéanti. «Je tiens le coup, mais je ne sais pas comment gérer. Toute notre vie est chamboulée. Ma fille est scolarisée ici et moi je travaille en Suisse. Je ne sais pas ce que l’on va faire.»
Sa femme, Fatma, partageait son temps entre ses deux pays, la Tunisie et la Suisse. Après plusieurs semaines passées à Dar Chaabane, Fatma devait rentrer aujourd’hui à Mauborget. Son dernier voyage sera plus court: elle le fera certainement pour le petit village natal de sa famille, où son père est déjà enterré.
Mari effondré
Pour Eric, son mari, il ne reste désormais que l’horreur et la douleur d’une mort injuste. «La famille Jerbi et moi, nous allons porter plainte contre le gouvernement. Nous voulons le nom de ses assassins. Ma femme n’a pas été touchée par une balle perdue; ils ont sciemment tiré sur elle, ainsi que sur des enfants.»
En Tunisie comme en Suisse, l’émotion est vive. A Coire, son neveu Adel Tajouri a tenu à envoyer des photos de cette tante qu’il voyait régulièrement. «Une femme très généreuse, pleine d’énergie. Elle était à la retraite et faisait des allers-retours pour s’occuper de sa fille. Ici, elle prenait le temps de faire des promenades, et aussi de peindre.»
En Suisse, le drame fait déjà des remous. En contact direct avec la famille de Fatma, le Comité de soutien du peuple tunisien, basé à Genève, a demandé hier aux autorités suisses de lancer une procédure pour homicide. Mais aussi le rappel de l’ambassadeur suisse en Tunisie.



Un couple indépendant et très uni
A Mauborget aussi, on entendait hier des coups de feu en rafale, déchirant bruine et brouillard. Mais ce n’était que le fracas de la place de tirs de Vugelles, qui remonte jusqu’au balcon du Jura. C’est donc là, dans ce village de 90 âmes perché à 1173 m d’altitude, que vivaient Fatma Jerbi et son époux Eric Marendaz, «depuis une trentaine d’années», selon le syndic Claude Roulet. Là, aussi, qu’ils se sont mariés. «On ne la voyait plus beaucoup, depuis deux ans, car elle était partie en Tunisie avec Sarra, leur fille adoptive. Ils voulaient qu’elle soit scolarisée là-bas, dans une école privée. Du coup, mère et fille ne revenaient ici que durant les vacances.»
Mécanicien sur machine de 62 ans, Eric Marendaz a appris le décès de son épouse par téléphone, mercredi en fin de journée. «Il m’a aussitôt appelé, vers 18 h», témoigne Alessandro Maggioni, un habitant du quartier. «Il était sous le choc. Je suis venu chez lui pour le réconforter et il m’a demandé si je pouvais m’occuper de leurs six chats. Le lendemain à 6 h, je l’ai amené à la gare de Lausanne, où un membre de sa belle-famille l’a rejoint.» Les deux hommes sont alors partis à Cointrin pour sauter dans le premier avion qui les mènerait en Tunisie.
Tous les habitants interrogés décrivent le couple comme «isolé et indépendant». Et très soudé, malgré la distance. «Ils s’appelaient tous les jours», relève Jacques Beck, un voisin. La volubile Fatma avait un fort tempérament et le sang «chaud», tandis que son mari est plutôt «réservé et timide», dépeint Alessandro Maggioni.
Source : 24 Heures


  Dessin réalisé par
au moment du soulèvement de Redeyef-Gafsa en 2008

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