vendredi 5 février 2010

L’empire contre-attaque

par Victor FLORES OLEA, La Jornada, 1/2/2010. Traduit par  Gérard Jugant, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original :
El imperio contrataca

On a célébré l’effort des pays latino-américains qui « prennent leurs distances » de l’empire, cherchant de nouvelles voies vers un développement qui soit indépendant et distinct, et authentiquement démocratique, sans se limiter à répéter la démocratie usaméricaine, captive des grands intérêts économiques qui mettent sous leur coupe les institutions du pays.
L’histoire de nos peuples a exigé cette distance et même une une rupture: depuis les pratiques d’exploitation dans le style de la United Fruit Company, jusqu’aux nouvelles formes de domination des systèmes financiers, en passant par l’horreur des dictatures militaires.
La distance a aussi commencé à se construire par de nouvelles institutions. Les principales: l’Union des Nations Sud-Américaines (Unasur), l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (Alba), la Banco del Sur, qui cherchent l’autonomie politique et économique de nos pays, surtout dans le sud, et à s’éloigner de la domination du Consensus de Washington, du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM).
Mais l’empire ne tolère aucune dissidence dans ce qu’il prétend être sa “zone naturelle” d’influence (son “arrière-cour”). Il y a beaucoup de signaux qui l’indiquent. Bien sûr que face aux profonds processus sociaux et démocratiques qu’a vécu une bonne partie de l’Amérique latine dans les deux dernières décennies récentes, il n’est pas facile d’intervenir par le vieux mode des “coups d’état” du temps de la guerre froide. Aujourd’hui cette forme d’intervention paraît exclue; néanmoins, il est clair qu’il n’est pas acceptable pour l’empire que la région se “soustraie” à sa domination, fut-ce par la voie de la décision populaire et démocratique de nos nations. Henry Kissinger, ce génocidaire qui obtint le Nobel de la Paix, a dit en se référant au Chili de Salvador Allende: “Il est inacceptable que le socialisme arrive au Chili, ce qui montre simplement l’irresponsabilité du peuple chilien”. La sentence demeure en vigueur pour les leaders de l’empire.
La Quatrième Flotte continue à exister et un traité international récent concède aux USA le droit d’installer sept bases militaires en Colombie: leurs militaires et civils ont le droit d’entrer et de sortir librement du pays, avec une quelconque pièce d’identité, sans passeport, et les Usaméricains résidant en Colombie ne peuvent être déférés devant les tribunaux civils ou militaires, quel que soit leur délit, et avec le plein droit de rentrer ou de sortir du pays toute cargaison sans contrôle des autorités: une véritable annexion et une réelle impunité.
Le blocus économique de Cuba demeure reste inchangé pour l’essentiel, malgré le vote massif année après année de l’Assemblée Générale des Nations Unies, exigeant qu’il soit levé (en 2009, la totalité des pays du monde, à l’exception des USA, d’Israël et de la Micronésie). Et voilà aujourd’hui l’occupation de fait de Haïti, en raison de la tragédie, par des milliers de marines. De toute évidence, l’occupation armée ne s’explique pas par des motifs de sécurité ou d’“aide humanitaire”, mais il s’agit clairement de s’assurer le contrôle territorial de la zone. En pratique, il s’agit d’une nouvelle base militaire usaméricaine qui n’abandonnera pas sa position.
Il y a deux modèles récents qui définissent le style de contre-attaque de l’empire: celui du Honduras, avec un coup militaire “légalisé” post factum, et celui du soutien politique et économique à l’ opposition de droite, comme cela s’est passé il y a à peine une semaine au Chili.
Allan McDonald, Tlaxcala
Dans le premier cas, il a été clair que l’appui aux putschistes “légaux” de Tegucigalpa, simplement par le fait que les USA n’ont jamais condamné clairement le coup, mais bien “laissé faire et passer” jusqu’à ce que se consolide pour eux une commode transition. Bien que d’innombrables pays latino-américains et européens aient retiré leur représentation diplomatique, le gouvernement d’Obama a su “dissimuler” et son silence tactique a permis la permanence de ce “coup” avec des prétendues bases juridiques et la consolidation d’un nouvel ordre “légal” dans ce pays.
Dans le cas des élections chiliennes le retour au Palais de la Moneda du pinochétisme le plus extrême semble proprement incroyable. Pour beaucoup, l’exemple de stabilité et de progrès était donné par la Concertation et par le socialisme chilien; nous voyons maintenant que le résultat des dernières élections doit être placé dans la colonne négative de la Concertation, puisque son abandon de toute perspective de réformes sociales profondes a favorisé le retour au pouvoir de l’extrême-droite. Bien sûr, le néolibéralisme continuait de manière rampante. Atilio Boron l’a dit: “ on préfère toujours l’original à la copie”.
Dans ces deux cas, par des voies différentes, mais avec le consentement de Washington, des régimes réformistes on été éliminés et c’est une régression pure et simple aux systèmes oligarchiques qui est imposée. La contre-attaque impériale d’aujourd’hui, contre le réformisme latino-américain, est un signal de très mauvais augure et est le motif principal de notre préoccupation.
Les pays qui ont avancé par le chemin de l’émancipation de l’empire, et plus encore ceux dont l’horizon est plus radical que le simple réformisme, constituent aujourd’hui la principale préoccupation latino-américaine. L’empire ne s’intéresse pas fortement à l’Amérique latine, disent certains probablement avec raison, puisqu’elle n’est pas en tête de ses ordres de priorité, mais cela ne signifie pas qu’il nous ait oublié dans son ambition de domination mondiale. Nous ne pouvons oublier que les yeux de l’aigle sont aussi posés dans son “arrière-cour”, ni que seules les luttes populaires et l’unité pourront arrêter ses ambitions sans frein.

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