mardi 19 mai 2009

L’amélioration de la situation sécuritaire en Irak : un faux-semblant

De retour d'Irak : ce que pensent les Irakiens de la fragile situation intérieure
par Pedro ROJO, 13/5/2009. Traduit par Esteban G.. Édité par Fausto Giudice,
Tlaxcala
Original : IraqSolidaridad - La falsa mejora de la seguridad en Iraq

« Selon plusieurs personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus en Irak, les divergences dans le Parlement irakien se répercutent de façon mortelle dans la rue. Autant les six voitures piégées qui ont secoué Bagdad le 6 avril dernier, que les attentats de ces 10 derniers jours posent de nombreuses questions. Dans le premier cas, et vu le nombre de contrôles qu’il y a dans la ville de Bagdad, cela semble très difficile, sinon impossible, de perpétrer autant d'attentats le même jour dans une ville sans liberté de mouvement étant donné les nombreux contrôles militaires, des mouvements qui sont autorisés aux seuls membres des milices chiites pro-iraniennes et aux louches Landcruisers Toyota blancs aux vitres fumées qui ne sont pas arrêtées aux barrages contrôles et dont personne ne sait qui les occupe. »


« Cela semble très difficile, sinon impossible, de perpétrer autant d'attentats le même jour dans une ville sans liberté de mouvement étant donné les nombreux contrôles militaires. » Attentat à Medina As Sadr ("Sadr-City") le 29 avril dernier.


L’irréelle « amélioration de la sécurité » en Irak, sur laquelle les occupants en ont fait leur propagande durant ces derniers mois, se révèle inconsistante, car basée sur des facteurs conjoncturels et exposée aux différents politiques entre les groupes implantés par l'occupation pour conduire le pays. Dans le meilleur des cas, il s'agit d'une amélioration relative de la situation, relative si on la compare avec la période où les milices des partis du gouvernement, principalement les Brigades Badr du Conseil Suprême Islamique d'Irak et l'Armée du Mahdi, liées au courant Sadr, qui agissaient à leur guise dans plusieurs vastes zones de la ville pour accomplir leursobjectif d'expulser les sunnites des zones mixtes et exterminer toutes les composantes civiles du camp anti-occupation [1]. La sécurité est relative si on choisit l'enfer de ces dernières années comme paramètre de comparaison, mais les médias occidentaux ne la comparent pas avec la situation antérieure à l'occupation, comme le font quotidiennement les Irakiens.

Ce qui n'a pas été relevé, pas même au cours des deux pires années de massacres sectaires (2005-2007), c’est l’affrontement au sein de la population elle-même. Dans l'immense majorité des cas il s'agit d'attaques dirigées par des groupes armés, qui ne sortaient pas des zones qu'ils contrôlaient, c'était le simple citoyen irakien qui courait le danger d'être kidnappé s’il circulait à pied dans un autre quartier d’une autre confession, et son cadavre réapparaissait le jour suivant jeté dans un caniveau. L'objectif de diviser physiquement sunnites et chiites dans la capitale irakienne a été atteint dans de nombreux quartiers, bien qu'ils ne soient pas parvenus à diviser la société irakienne, ce qui est évident car dans les entrevues que nous avons réalisé la semaine passée à Bagdad [fin avril], aucune personne interrogée n’a assumé le discours sectaire des responsables politiques collaborateurs.

La sensation que l’on a en circulant dans Bagdad est celle d'être dans une ville en guerre. Les contrôles de police, établis tous les 500 mètres, laissent passer les véhicules sans même regarder à l’intérieur, et rarement ils font ouvrir le coffre. Les soldats se justifient par l'utilisation d'un appareil, en forme d'antenne radio, identique à celui des sourciers lorsqu’ils recherchent l'eau, et qu'ils passent sur le côté de la voiture pour détecter des produits chimiques explosifs. Non seulement ils sont la risée des Bagdadiens - qui assurent que la seule chose qu'ils détectent sont les parfums des passagers - mais un officier de la Garde Nationale [armée irakienne] a reconnu devant nous qu'ils savent qu'ils ne fonctionnent pas et que, de fait, bien que se soient les Usaméricains qui les leur aient fournis, eux-mêmes ne les utilisent pas.

L'armée et la police se répartissent les postes de contrôle. Depuis un peu plus d'un an, les Bagdadiens peuvent aller et venir dans les différents quartiers sans crainte que ces mêmes postes de police ne soient leur tombe, comme cela se produisait entre 2005 et 2007. Les milices se sont retirées de la vie publique. Certaines comme les Brigades Badr, car elles contrôlent la police et agissent sous sa couverture lorsqu’elles en ont besoin ; d'autres, comme l'Armée du Mahdi, parce qu’elle a été « gelée » par son leader, Muqtada as-Sadr, suite aux durs affrontements, en avril 2008, à Bassorah et à Sadr-Ville contre les forces d’occupation et l'armée irakienne, au cours desquels elle a perdu le contrôle de toutes ses zones d'hégémonie - y compris ce quartier de Bagdad- et une bonne partie de son influence politique.

Al Qaïda et la résistance

Le contrôle des zones sunnites à Bagdad et de la province occidentale d’al-Anbar par les Conseils Al Sahoua (Majlis Al Sahoua, Conseils de l’Éveil), crées avec l’argent et l’armement fourni par les USA en septembre 2006, a fait disparaître les cellules d'Al Qaïda des quartiers qu'elles dominaient, mais il a aussi freiné les actions de la résistance depuis ses secteurs par accord tacite de non- agression entre les deux. Les différents interlocuteurs de la résistance politique (baathistes, islamistes modérés, nationalistes, etc.) avec lesquels la CEOSI s’est entretenue ces derniers mois, sont d'accord pour faire remarquer que les forces de la résistance irakienne ont décidé de ne pas tomber dans le piège de la lutte sectaire, tendu aussi bien par les occupants que par l'Iran.

C'est pourquoi, lorsqu’en Irak on parlait quotidiennement du risque de guerre civile, les groupes de la résistance se sont tenus à l’écart des batailles qui ne visaient pas strictement l'occupant, leurs objectifs restant toujours les seules troupes d'occupation. Leurs affrontements avec l'armée irakienne, la police ou les Conseils Al Sahoua sont limités seulement à la légitime défense dans les opérations que ces corps entreprennent à leur encontre. Ils assurent qu’en aucun cas ils n’ont commis d’assassinats sectaires ni de civils. Les différentes factions de la résistance convergent dans leur analyse: combattre contre les Irakiens eux-mêmes signifierait une rupture définitive de la société irakienne. Cette vision d'État, cette stratégie claire à long terme, rend une dignité au projet de la résistance irakienne et contribue à amplifier sa base populaire, qu'elle a perdue en partie, suite à la campagne médiatique massive qui tentait d’inventer des liens entre la résistance et les actions terroristes et la lutte sectaire.

Les groupes liés à Al Qaïda n'ont pas adopté cette même position, ou bien est-ce comme le disent beaucoup d'Irakiens, parce qu’ils sont infiltrés par l'Iran et les USA, ou cela vient-il de leur propre myopie idéologique ou alors parce que dans leur stratégie particulière l'objectif n'est pas la libération de l’Irak mais un combat plus diffus et incohérent contre ‘le Mal’. C’est ainsi que ces groupes se sont transformés en la parfaite contrepartie dont les milices chiites avaient tant besoin pour poursuivre leur sanglant nettoyage interne, soutenant de cette manière le projet de division sectaire du pays enclenché depuis le premier jour de l'occupation.

Cependant, la campagne de purification de l'Irak menée par Al Qaïda ne s’est pas limitée à l'anathématisation des chiites, puisqu'ensuite ils ont aussi considéré comme hérétique (kafir) tout sunnite qui ne se fondrait pas dans leur État Islamique d'Irak. Cette stratégie de combattre exclusivement contre les troupes d’occupation a peut-être amené la résistance à tolérer une présence excessive d'Al Qaïda dans certaines zones et à ne pas la combattre directement même aux moments les plus difficiles, y compris lorsqu’ils en sont venus à assassiner des membres de la résistance. Mais à cette époque, de même qu’aujourd’hui, la résistance accusait l'occupant de provoquer un affrontement inter-irakien pour détourner la pression que la résistance exerçait contre son projet.

Cette permissivité avec les extrémistes a favorisé la création des Conseils Al Sahoua, formés en partie par des membres et des dirigeants des tribus et par des ex-résistants de l'Armée Islamique en Irak ou des Brigades de la Révolution de 1920 (ce qui a provoqué des scissions en leur sein dans plusieurs provinces), qui ont considéré plus urgent de combattre Al Qaïda et sécuriser les zones où ils vivaient que de combattre les occupants.

Une fois que les zones où se trouvaient les cellules d'Al Qaïda furent dégagées, les membres des Conseils Al Sahoua ont empêché les forces de la résistance d'agir depuis leurs secteurs, ce qui de fait, a signifié la perte de vastes zones en Irak contrôlées auparavant par la résistance. Le projet des Conseils Al Sahoua a échoué seulement dans la province de Diyala et dans la région de Mossoul, qui sont devenus aujourd’hui les fiefs les plus sûrs de la résistance.

Un pays de factions

Le nouveau projet d'Al Maliki, qui tourne autour de son idée particulière de réconciliation nationale, est soutenu maintenant avec force par les USA, alors qu’il y a un peu plus d'un an ils jouaient avec la possibilité de le remplacer. Le changement du discours sectaire d'Al Maliki par celui d'intégration nationale a permis, qu'au moins, les apparences soient sauvées dans la police, qui continue d’être contrôlée par les milices chiites du Conseil Suprême Islamique d'Irak (CSII), partenaires dans le gouvernement Al Maliki mais rivaux politiques par la faveur de l'Iran et de Washington, ainsi que par la lutte pour le pouvoir issu du processus politique protégé par les occupants. La réalité est que le Premier ministre irakien ne contrôle ni le pays ni même les structures de l'État collaborateur, scindé en factions de pouvoir.

Il y a des événements qui dépeignent de manière claire le manque de capacité d'action du Premier ministre irakien :

- La prétendue purification des forces de sécurité irakiennes par la suppression d'éléments corrompus et sectaires, loin d'être tout simplement appliquée, s’est traduite en une activité sectaire plus réduite des dits corps. Toutefois, sur des bâtiments militaires à Bagdad on peut toujours voir de grandes banderoles avec les chefs chiites y compris des fresques murales à l’ effigie de Mohamed Baqir al Hakim ou du grand ayatollah Ali Sistani. Selon une information du 7 avril dernier du quotidien Al-Quds Al-Arabi [2], les 62.000 policiers accusés de corruption dont l’éviction avait été annoncée par le ministre de l'Intérieur sont toujours à leurs postes. (L’Irak est le troisième pays le plus corrompu dans le monde.)

- Les crimes de la police et de l'armée irakienne contre leurs propres concitoyens sont constants : viols, tortures, détentions illégales ou extorsions sont à l'ordre du jour [3].

- Le 29 avril dernier, les forces de sécurité du ministère du Commerce ont repoussé avec des tirs un détachement de l'armée irakienne qui venait arrêter un haut responsable dudit ministère, comme l’a informé le lendemain l'agence Asuat al Iraq [4]. Actuellement, tous les hauts responsables du ministère sont à l'étranger.

- Un autre exemple du règne des factions, est ce qui s’est passé à l'Université Al Mustansiriya à Bagdad, qui porte le nom de celle qui est considérée comme l'université la plus ancienne du monde. En mars 2009 le gouvernement irakien a ordonné l’arrestation d'Ahmed Al Kanduri, recteur de cette université, accusé d’une telle corruption que la clameur populaire a obligé le ministre d'Éducation Supérieure à le destituer de ses fonctions. Mais cette université fait partie de la quote-part sectaire du courant d’As Sadr, qui s’est refusé à accepter cette destitution, c’est pourquoi le recteur est toujours à son poste à ce jour.

- Ce n'est pas seulement la population irakienne qui n’a pas confiance dans les nouvelles forces de sécurité. Les délégations diplomatiques étrangères ne disposent pas de protection officielle c’est la raison pour laquelle elles sont accompagnées en Irak par leur propre personnel et ont engagé des mercenaires pour leur sécurité. Elles ne communiquent même pas leurs mouvements, lors de leurs rares déplacements en ville, aux forces de sécurité irakiennes, elles ont avec elles leurs propres escortes.

C’est dans ce cadre précaire qu’il faut situer ce qui est nommé l’amélioration de la sécurité. Une amélioration assise sur des fondations vaseuses. On ne peut parler en aucun cas d'une force de sécurité basée sur des principes nationaux et professionnels, respectée et efficace aux yeux du peuple irakien. Au lieu de cela, l'actuelle amélioration dépend des mêmes acteurs responsables de l'enfer irakien de 2006, 2007 et une partie de 2008, qui continuent d’exercer impunément dans leurs fonctions, et des exécutants des crimes qui occupent encore les mêmes lieux qui ont fonctionné pendant ces années comme des centres de séquestrations et de tortures.

La guerre d'Al Maliki contre les Conseils Al Sahoua

Une fois les objectifs à court terme atteints par les Conseils Al Sahoua, le gouvernement Al Maliki les considère essentiellement comme des adversaires politiques qui peuvent lui ôter le pouvoir, spécialement après les succès de certains leaders des tribus qui composent ces Conseils aux élections régionales du 31 janvier 2009.

L'amélioration de la sécurité et, par conséquent, sa proposition publicitaire de « réconciliation nationale » ont été les atouts principaux qui ont crédité le Premier ministre Al Maliki de résultats électoraux acceptables. Pour les deux stratégies il a eu besoin de la collaboration des Conseils Al Sahoua, qui dépendent du gouvernement irakien depuis qu'ils ont été transférés en octobre 2009 par les Usaméricains. Mais une fois les élections passées, la politique du gouvernement a changé envers ces groupes, en essayant de réduire leur présence armée : 20.000 seulement des 100.000 membres des Conseils Al Sahoua seront maintenus dans leur activité armée pour le contrôle de la sécurité. Alors qu’ils étaient supposé le faire dans les rangs de la police, cette incorporation promise ne s'est pas réalisée.

Il y a deux explications possibles pour ce changement : l’officielle, exprimée par Kamal Al Saadi, membre de l'Alliance chiite au Parlement, le 5 avril dernier sur la chaîne de télévision Al Jazeera :

« Il n'y a pas un rejet de cette incorporation, c’est un problème technique, pas une position politique ou une décision préméditée. C'est une affaire qui demande beaucoup de temps parce que nous avons cent mille dossiers. C’est aussi lié à une question budgétaire. »

Ces déclarations sont contradictoires avec la course contre la montre que le ministère de l'Intérieur est en train de disputer pour recruter un plus grand nombre de policiers afin de faire face à la nouvelle échéance du retrait annoncé par Barack Obama. L'intention politique du gouvernement de se défaire d'une grande partie des Conseils Al Sahoua est claire puisque « dans les budgets de l'État, il n'y a pas de chapitre qui couvre tous les frais dérivés du plan pour les Sahoua. Cela a été proposé devant le Parlement mais jusqu'à aujourd'hui, seulement 50% des salaires des membres du Sahoua ont été payés », a assuré Abu Azzam Al Tamimi, conseiller général des Conseils, sur la chaîne Al Arabiya le 4 avril dernier. Une partie des dirigeants des Conseils Al Sahoua approuvent cette version. Cependant, Mustafa Kamal Al Shabib, leader des Conseils Al Sahoua dans le quartier de Dora dans la capitale, nous a assuré à Bagdad que « ces problèmes sont en train d’être résolus. La collaboration avec le gouvernement est bonne ». Il y en a qui vont plus loin encore et s’aventurent à envisager une alliance politique entre Al Maliki et les Conseils Al Sahoua en vue des prochaines élections générales de décembre prochain. Abou Risha, considéré comme le dirigeant des Conseils Al Sahoua en Irak, a assuré : « Nous sommes disposés à nous allier avec Al Maliki avant les prochaines élections parlementaires […] nous avons des idées et des points de vue très proches des propositions du Premier ministre » [5], Ce à quoi les quatre autres chefs d'Al Sahoua ont répondu dans un communiqué qu’ils n’étaient pas d’accord avec cette position [6]. C’est précisément là où semble être la faillite du projet des Conseils Al Sahoua, entre ceux qui défendent leur indépendance et leur rôle stabilisateur dans les zones qu'ils contrôlent et ceux qui veulent continuer à gravir l’échelle dans la carrière politique.

L’arrestation d'Adel Mashhadani, dirigeant du Conseil d'Al Sahoua du quartier Al Fadel à Bagdad, le 28 mars dernier, après une bataille de rue contre des forces de la sécurité irakienne soutenues par des hélicoptères et des effectifs US, répond à sa volonté de se rendre indépendant du gouvernement irakien, qui a cessé de payer leurs salaires depuis des mois, ce pourquoi ses membres s’étaient mis à exiger de l’argent aux commerçants de la zone en échange d’une offre de protection. Accusé officiellement d’avoir extorqué plus de 160.000 dollars aux citoyens du quartier et d'avoir eu des liens à une époque avec Al Quaïda et avec les baathistes, différentes personnes à Bagdad nous ont montré sur leurs portable la vidéo du discours anti-occupation et d’opposition à l'ingérence iranienne que Mashhadani avait prononcé quelques jours avant son arrestation en pleine rue [7]. Bien que les Usaméricains comme le gouvernement irakien assurent qu'il s'agit d'un incident isolé, la liste des incidents est beaucoup plus longue et la sensation de persécution est claire pour ceux qui ne sont pas politiquement utilisables: Mohamed Al Kartani, le plus haut représentant des Conseils Al Sahoua de Bagdad a dénoncé le fait qu'ils ont été trahis par le gouvernement et les forces d'occupation [8]. « Nous sommes persécutés par le gouvernement », a déclaré Ihab Zubai, porte-parole d'Al Sahoua du quartier d'Amiriya [9]. Le 31 mars le leader du Sahoua de Hur au sud de Bagdad, Maher Sarhan, a été arrêté ; le 4 avril, Hasam Al Azaoui, alias Abou Irak, connu comme le dirigeant des forces des Conseils Al Sahoua dans la province de Diyala, a été arrêté. Juste avant, Hasam Aluan, chef d'Al Sahoua à Al Mahdadiya, avait été arrêté. Un ordre d’arrestation pèse également contre Saad Aribi, alias Abou Al Abd, leader d'Al Sahoua d'Amriya.

Le dernier épisode d'arrestations de leaders d'Al Sahoua a été celui réalisé par la police irakienne de Tikrit le 2 mai dernier par l’arrestation de Mula Nadem Al Yaburi, plus haut représentant d'Al Sahoua à Duluguiya (ville située à 70 kilomètres au nord de Bagdad), accusé de terrorisme. Ceci s’est produit après qu'un kamikaze – marque distinctive des actions d'Al Qaïda- avait tenté de l’assassiner dans une mosquée de Duluguiya le 12 avril dernier. Comme le prisonnier l’a confirmé, il s'agit d'un règlement de comptes qui remonte à plus de deux ans en arrière quand un hélicoptère usaméricain est tombé à Duluguiya. Comme l’avait déclaré Al Yaburi deux jours après son arrestation, avant de quitter les rangs de la résistance pour adhérer aux Conseils Al Sahoua : « Nous avons signé un accord de cessez-le-feu avec les forces usaméricaines. Nous avons également signé un accord grâce auquel on nous assurait que nous n'allions pas souffrir de persécution judiciaire pour avoir combattu l'armée usaméricaine » [10].

Au moment où le dossier des Conseils Al Sahoua a été remis au gouvernement irakien, différents groupes de la résistance, autant politiques qu’armés, ont lancé des appels pour que l’on « revienne sur le chemin de la raison » [11]. Bien que, comme l’avait assuré en avril 2009, Harez Cheikh Al Dari, secrétaire général de l'Association des Oulémas Musulmans d'Irak lors d’une interview avec la CEOSI [12], ces appels aient eu un faible retentissement, ils ont entraîné une plus grande facilité de mouvement pour les groupes de la résistance dans les zones contrôlées par ces forces. Pour des analystes comme Adel Al Bayati [13], ces groupes « pourraient commencer à se convertir en organisations armées affrontant tant le gouvernement que les forces américaines ».

Actuellement, des informations commencent à parvenir au sujet de cette conversion ainsi que celles sur l’arrestation de trois membres des Conseils Al Sahoua, à la fin avril 2009 au nord de Babylone, alors qu’ils posaient un engin explosif de fabrication artisanale [14], de même que les déclarations d'Abou Omar, leader d'Al Sahoua au nord de Bagdad au quotidien Times le 3 mai dernier dans lesquelles il assure que plus de 50 de leurs 175 combattants ont abandonné leur milice. Selon des sources de la résistance citées par ce même quotidien, « il y a des Sahoua qui ont perdu jusqu'à la moitié de leurs combattants parce qu’ils ont rejoint la résistance » [15]. Un membre des forces d'Al Sahoua à Addamiya nous a parlé ouvertement de la situation : « Plus de la moitié de nos camarades n'ont pas reçu leur salaire, donc ils doivent trouver de quoi vivre, chercher un autre travail. Évidemment, ils n'ont pas rendu leurs armes ».

La situation actuelle des membres des Conseils Al Sahoua est résumée, dans le même article du Times, par Jalaf Ibrahim, qui a récemment démissionné de la tête du Conseil d'Al Sahoua à Huwaiya, près de Kirkouk : « Nos membres se sont convertis en même temps en objectifs d'Al Qaïda et des forces de sécurité du gouvernement ». Selon des données officielles US, 125 membres d'Al Sahoua visés par des attaques sont morts ces six derniers mois [16], en plus des 200 morts durant les 18 premiers mois d'activité [17].

Al Maliki et sa réconciliation avec les baathistes

Dans un louable exercice d’acrobatie politique, aAl Maliki est parvenu à sortir renforcé de la rhétorique du retour des baathstes en Irak, un fait inacceptable pour les Iraniens et, par conséquent, pour leurs acteurs sur la scène irakienne, parmi lesquels Al Maliki lui-même tient rôle important. Aux moments les plus difficiles, il y a un peu plus d'un an, il avait reçu de fortes pressions de la part des USA pour incorporer d'anciens membres du régime baathistes dans les forces de sécurité et dans la vie politique en vue de donner de la crédibilité au nouveau discours sur la réconciliation nationale que Washington essayait de vendre et dont le principal artisan devait être Al Maliki lui-même.

Le 13 janvier 2008, le Parlement irakien a approuvé la loi qui annulait partiellement ladite loi de débaathification imposée par le proconsul Paul Bremer et selon laquelle l'État ne pouvait pas engager d’adhérent du Parti Baath. Dans la pratique, cette mesure a signifié de laisser cinq millions de personnes sans emploi, car dans un Irak détruit, aux frontières ouvertes et sans tarifs douaniers pour les importations, il n'y a pas de possibilité de travail autre que dans l'administration et, plus concrètement, dans les forces de sécurité. Presqu'un an et demi plus tard, dans la plus optimiste des analyses, l'application réelle de la loi est très faible. En réalité elle est restée circonscrite à la galerie des actes symboliques qui n'ont pas d’application dans la pratique.

Jour après jour l'administration irakienne, dominée par les partis pro-iraniens qui mettent une ligne rouge à tout retour des baathistes, a veillé à ce que sa mise en application reste minime. Il était supposé que cette loi faciliterait l'entrée dans l'administration publique à une partie des 80% des membres des Conseils Al Sahoua qui, une fois démobilisés, devaient avoir un poste de fonctionnaire. Ça n'a pas encore été le cas. En contrepartie de cette loi, les partis pro-iraniens sont parvenus à faire approuver une loi d'amnistie qui leur a permis de faire libérer un grand nombre de membres de leurs milices emprisonnés pour des crimes divers.

Les tentatives précédentes de rapprochement d'Al Maliki avec des secteurs baathistes plus ou moins représentatifs se sont soldées par une réponse fermement négative. Autant la branche majoritaire du Baath, dirigée à l'intérieur par Izzat Ibrahim Al Duri, que la branche sécessionniste dirigée depuis Damas par Mohamed Younes Al Ahmed, ont rejeté la proposition d'Al Maliki, la considérant comme une simple manœuvre de diversion. Ce qui est certain, c’est que l'intention des USA de trouver d'autres compagnons de route pour le parti d’Al Maliki (principalement des éléments des Conseils Al Sahoua et des anciens baathistes) pour ne pas devoir dépendre du CSII, plus proche de l'Iran, afin de former le prochain gouvernement, rencontre un vide général excepté le cas d'Abou Risha, parmi les Conseils Al Sahoua, et l'ancien membre du Baath syrien et opposant au régime de Saddam Hussein, Mohamed Rashad Al Cheikh Radi, celui qui la semaine passée a quitté quelques jours son exil de Londres pour rencontrer en Irak le Premier ministre Al Maliki, le ministre pour le Dialogue National et le vice-président de la République, Adel Abdelmehdi, rencontres après lesquelles il a assuré : « Nous avons pris la décision officielle de retourner à la vie politique » [18].

L'idée d'attirer d’autres baathistes qui avaient davantage de poids dans le peuple irakien, pour ôter ainsi l’appui au Bath dirigé par Al Duri et son bras armé, a complètement échoué. La dernière tentative a eu lieu le 18 avril dernier à Amman avec la réunion de fonctionnaires officiels britanniques et US appartenant à la Cellule des Forces Stratégiques d'Action avec le général Raad Mayid Al Hamdani, responsable de la défense de Bagdad en 2003. Al Hamdani a rejeté la proposition de retourner en Irak pour rejoindre le processus politique actuel et a assuré que le Premier ministre n'est pas intéressé par la réconciliation [19]. La résistance irakienne a également dénoncé le projet de réconciliation d'Al Maliki dans divers communiqués et déclarations [20].

Voitures piégées et affrontements politiques

C’est avec de furieuses déclarations que le leader du CSII, Abdelaziz al-Hakim, a réagi contre le retour de toute organisation qui porte le nom du Baath, en assurant qu’il ne le tolèrera pas. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la tension croissante entre les deux principaux partis de l'Alliance chiite dans le gouvernement (une fois le courant As Sadr anéanti par les armes en avril 2008), Al Dawa de Maliki et le CSII d'Al Hakim, elle est la conséquence du poids plus important qu’a pris le Premier ministre irakien, dont ils disaient qu'il avait été nommé à ce poste en 2005 parce qu’il n'avait pas de poids dans une cour de personnages politiques avec beaucoup d'aspirations et que, par conséquent, il ne représentait une menace pour aucun d’entre eux.

Mais Al Maliki a su nager entre deux eaux en satisfaisant autant les Iraniens - qui contrôlent son parti – que les Usaméricains – qui avaient menacé de le destituer-. Les récentes élections régionales ont donné de meilleurs résultats au parti d’Al Maliki qu'à celui d'Al Hakim, principalement grâce à deux facteurs, selon quelques analystes : d'abord à cause de l'utilisation par Al Hakim de l'appareil de l'État et de ses fonds en sa propre faveur et, deuxièmement, par son discours renouvelé anti-sectaire et opposé au fédéralisme prôné par Al Hakim.

Selon plusieurs personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus en Irak, les divergences dans le Parlement irakien se répercutent de façon mortelle dans la rue. Autant les six voitures piégées qui ont secoué Bagdad le 6 avril dernier, que les attentats de ces 10 derniers jours posent de nombreuses questions. Dans le premier cas, et vu le nombre de contrôles qu’il y a dans la ville de Bagdad, cela semble très difficile, sinon impossible, de perpétrer autant d'attentats le même jour dans une ville sans liberté de mouvement étant donné les nombreux contrôles militaires, des mouvements qui sont autorisés aux seuls membres des milices chiites pro-iraniennes et aux louches Landcruisers Toyota blancs aux vitres fumées qui ne sont pas arrêtées aux barrages contrôles et dont personne ne sait qui les occupe. Concrètement, en ce qui concerne l'attentat de Kaddamiya le vendredi 25 avril dernier, nous sommes face à une situation semblable, puisque les deux kamikazes se sont immolés sur une place dont les accès sont contrôlés par les forces de sécurité qui non seulement contrôlent les sacs mais fouillent aussi les personnes, comme ils étaient en train de le faire avec nous au moment de l’attentat [21]. Par conséquent, on suppose que personne ne pouvait pénétrer à l'intérieur du périmètre avec des sacs remplis d'explosifs.

Les analyses que l’on pouvait entendre à Bagdad sur ces attentats ont un dénominateur commun : il s'agit d'une mise en garde des membres du parti d'Al Hakim au Premier ministre Al Maliki pour lui rappeler qui maîtrise la sécurité dans le pays, et que malgré son euphorie électorale, il dépend toujours des milices Badr pour maintenir l'amélioration précaire de la sécurité et qu’ils peuvent réactiver à tout moment les meurtres sectaires. Les Usaméricains en sortent également renforcés, car ils peuvent ainsi justifier le retard mis au retrait – de toute façon limité- de leurs troupes à cause de l'incapacité des forces irakiennes à maintenir l'ordre et, de cette façon, prolonger leur présence en Irak au-delà des dates prévues.

Notes de l'auteur et d'IraqSolidaridad :

1. Voir sur IraqSolidaridad : Carlos Varea - Mort et exode : l'occupation et la violence sectaire en Irak.

2. Adel al-Bayati, « les secrets du coup d'État d'al-Maliki contre Al Sahoua », Al Quds al Arabi, 7 avril 2009.

3. « Affrontements entre l'armée et la sécurité du Ministère du Commerce dans une tentative d’arrestation d'un haut responsable », Asuat al-Irak, 30 avril 2009.

4. James Hider, « Rape, beatings and bribery : Iraqi police out of control », Times on line, 24 avril 2009. Disponible en Anglais sur : http://www.timesonline.co.uk/.

5. Malaf Press, 9 avril 2009.

6. Les quatre leaders sont : Abdelkarim Youssouf Al Asal, frère du général Tareq Youssouf Al Asal, chef de la police d’Al Anbar ; Hakmat Souleiman, membre du Conseil provincial d’Al Anbar ; Awad Ali Hussein et Abdou Mohamed Zaouni.

7. Discours disponible en vidéo en anglais sur YouTube: http://www.youtube.com/.

8. Yaqen News Agency, 4 avril 2005.

9. Sudarsan Raghavan et Anthony Shadid, « In Iraq, 2 Key U.S. Allies Fase Off », The Washington Post, 30 mars 2009.

10. AFP, « un leader du Sahoua arrêté assure avoir signé un document qui l’empêchait d’être arrêté », Elaf, 04 mai 2009. Traduit de l’arabe dans le Bulletin de Presse Arabe, www.boletin.org. Disponible en arabe : http://www.elaph.com/

11. Paroles dans le communiqué du Front du Jihad et le changement sur ce sujet : « Appel pour revenir sur le chemin de la raison », disponible en arabe : http://www.jhadfront.com/. Voir aussi la lettre ouverte de l'Association des Oulémas Musulmans traduite en espagnol sur Los Consejos al-Sahua, otra herramienta de los ocupantes de Iraq
12. Voir l’interview avec Harez Al Dari : « La sécurité en Iraq est temporaire et fausse, imposée par le feu et le dollar »

13. Adel Al Bayati, « les secrets du coup d'État d'al-Maliki contre Al Sahoua », Al Quds al Arabi, 7 avril 2009. Traduit de l’arabe sur Bulletin de Presse Arabe, http://www.boletin.org

14. Dahr Jamail, « And so it goes », Truthout, 4 mai 2009.

15. Ali Rifat, Hala Jaber et Sarah Baxter, « Iraq bloodshed rises as US allies defect », Times on line, 3 mai 2009.

16. « Selon une enquête officielle, 125 membres d'Al Sahoua ont été assassinés en six mois », Az Zaman, 04.05.09, Traduit l’arabe sur le Bulletin de Presse Arabe, http://www.boletin.org.

17. « Deux cent morts des Conseils de l'Al Sahoua d'Al Anbar en 18 mois », Az Zaman, 24 mars 2008, traduit de l’arabe sur le Bulletin de Presse Arabe, http://www.boletin.org.

18. « Un responsable du Baath en Irak : « nous avons pris la décision de façon officielle de reprendre la vie politique », Al Quds al Arabi, 30.04.09, Traduit de l’ arabe sur le Bulletin de Presse Arabe, http://www.boletin.org.

19. Sam Dagher, « Iraq Resists Pleas by US to Placate Baath Party », New York Times, 25 avril 2009.

20. « La résistance irakienne rejette la réconciliation proposée par le gouvernement Al Maliki » Al Arab, 09.03.09, Traduit de l’arabe sur le Bulletin de Presse Arabe, http://www.boletin.org. Disponible en arabe : http://www.alarab.co.uk/.

21. Tous les attentats massifs des dernières semaines à Bagdad n’ont pas été faits par des bombes humaines. Ernesto Londoño et Aziz Alwan, « Two Car Bombings Kill at Least 12 in Bagdad », The Washington Post, 7 mai 2009.

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