jeudi 2 avril 2009

Le Guantánamo de Calais

Discussions entre ministres français et britanniques sur l’ouverture d’un centre de rétention pour immigrants clandestins dans le port de Calais
par John Lichfield et Ben Russell,
The Independent, 21/3/2009. Traduit par Courrier international, révisé par Isabelle Rousselot, Tlaxcala

Ce projet d'implanter dans le port français un centre de « détention », comme disent les Anglais, ou de « rétention », comme disent les Français, sous juridiction britannique soulève bien des questions. Londres et Paris espèrent ainsi s'affranchir des lois et traités internationaux et expulser plus facilement les demandeurs d'asile.


Londres et Paris ont engagé des discussions sur la création d'un nouveau centre de rétention pour immigrés clandestins sur les docks de Calais. Un centre qui serait un bout de territoire britannique pour tout ce qui concerne les lois sur l'immigration et permettrait de renvoyer facilement chez eux les déboutés du droit d'asile. Même si les deux gouvernements ne se sont pas encore entendus sur tous les termes de l'accord, ils comptent exploiter l'ambiguïté du statut légal de la "zone de contrôle" britannique créée en 2003 sur le port de Calais [les officiers d'immigration britanniques peuvent y effectuer des contrôles d'identité et y "pratiquer des recherches au moyen de matériels électroniques ou d'équipes cynophiles"], pour surmonter les difficultés juridiques qui empêchent actuellement l'expulsion des demandeurs d'asile vers leur pays d'origine.


L'idée – dont ont débattu les ministres de l'Immigration britannique et français en février – est de battre à leur propre jeu les demandeurs d'asile et les passeurs qui les amènent dans le nord de la France. A l'heure actuelle, les immigrants rassemblés à Calais, pour la plupart originaires d'Afghanistan, du Kurdistan et de la corne de l'Afrique, profitent des contradictions et des zones d'ombre dans les législations européenne et internationale sur l'immigration et l'asile pour éviter d'être expulsés de l'Hexagone. Peu importe qu'ils se fassent prendre à de multiples reprises ; à chaque fois, ils sont libérés et tentent de nouveau d‘entrer illégalement au Royaume-Uni.

Le centre de rétention pourrait permettre à Londres et Paris d'exploiter l'ambiguïté du statut légal de la « zone de contrôle » à Calais et de renvoyer les migrants chez eux. Si le projet se concrétise, il ne manquera pas d'attirer l'attention des organisations de défense des droits de l'homme et des libertés civiques. Celles-ci pourraient établir un parallèle entre la création de ce centre doté d'un statut extraterritorial en territoire français et la prison de Guantanamo [sise en territoire cubain, sous juridiction usaméricaine, mais dont l'"exterritorialité" lui a permis d'éviter pendant des années d'appliquer la justice ordinaire des USA]. Même si les demandeurs d'asile ne devraient y séjourner que pour une courte période et y recevraient un traitement humain, ils se retrouveraient dans un vide juridique.


La presse britannique a tourné en ridicule les commentaires du ministre, après qu'il eut essuyé le soir même une rebuffade de son homologue français Eric Besson. En réalité, Besson n'a pas démenti les propos de Woolas. Il a simplement expliqué que la France n'avait pas l'intention de construire un nouveau Sangatte – ce qui n'est pas la même chose. Le gouvernement français est furieux et embarrassé, parce que l'expression "centre de détention" a une sinistre connotation historique à l'oreille des Français. Paris préfère parler de "centre de rétention". Les termes les plus importants employés par Woolas sont passés inaperçus au milieu des railleries dont il a fait l'objet. Le nouveau centre – de détention ou de rétention – serait construit au-delà de la ligne délimitant les services d'immigration britanniques sur les quais de Calais.

Contrôle britannique et cellules de détention françaises dans le port de Calais

Changer la règle du jeu

La UK Border Agency, l'agence des frontières britannique, a également fait allusion au projet. "Nous sommes décidés à travailler avec les Français pour faire en sorte que nos frontières soient parmi les plus difficiles à franchir dans le monde, et nous envisageons toutes les possibilités", a déclaré l'agence. "Le ministre de l'Immigration a rencontré le mois dernier son homologue français pour réfléchir aux différentes options, et des discussions sont en cours sur les infrastructures à bâtir dans le port de Calais."

En 2003, la France et le Royaume-Uni ont conclu un traité sur des "contrôles frontaliers juxtaposés", dans le cadre d'un accord permettant la fermeture du camp de Sangatte. La police des frontières française opère, armée, à Douvres dans une "zone de contrôle" qui reste partie intégrante du Royaume-Uni mais qui est pour certains aspects sous juridiction française. Les agents de l'immigration britannique, eux, ont la haute main sur une "zone de contrôle" similaire sur les quais de Calais, où s'appliquent certains aspects de la loi britannique mais sur laquelle la France continue d'exercer sa souveraineté.

En fait, une fois franchie la zone de contrôle, on se trouve légalement au Royaume-Uni bien qu'étant en France. Les négociations portent donc sur le statut binational ambigu de cette zone "britannique" à Calais, première "incursion" britannique dans cette ville depuis près de cinq cents ans. [Calais a été repris à l'Angleterre en 1558.]

A l'heure actuelle, les tribunaux français refusent de renvoyer les clandestins dans leurs pays, où ils risquent la persécution. Ceux qui cherchent à entrer au Royaume-Uni ne veulent surtout pas demander l'asile en France. Car, en cas de refus de l'administration – et en vertu des traités internationaux et européens –, ils n'auraient plus le droit de déposer une demande au Royaume-Uni. Or ces candidats à l'immigration restent convaincus que ce dernier leur offre de bien meilleures perspectives que la France.

Généralement, les candidats à l'immigration arrivent sur les docks de Calais et se font arrêter avant ou après avoir pu se cacher dans un camion. Relâchés par les autorités françaises au bout de quelques jours, ils reviennent à Calais et tentent leur chance une nouvelle fois.

Au plus fort de la « crise » de Sangatte, il y avait 2000 migrants à Calais. Après la fermeture du camp en 2002, leur nombre a chuté mais il a à nouveau remonté entre 700 à 1000. L'amélioration des défenses du port a fait que moins de migrants atteignent la Grande-Bretagne. Ce qui a fait grossir le nombre et la frustration des migrants à Calais. Le nombre de bagarres entre groupes de migrants a augmenté, y compris des attaques contre les conducteurs de camions.
Les autorités françaises connaissent un accroissement de la pression populaire, notamment avec la sortie du film Welcome, pour donner une aide humanitaire aux migrants qui vivent à la dure dans la « jungle » - le maquis près du port de Calais.

Le plan franco-britannique permettra, espère-t-on officiellement, de changer la règle du jeu. Reste à savoir dans quelle mesure. Les illégaux pourraient être renvoyés dans leur pays sans relever de la loi française ou britannique – mais une telle éventualité sera contestée par les défenseurs des droits de l'homme.

Par ailleurs, un centre de rétention dans les docks permettrait aux autorités de faire pression sur les immigrants pour qu'ils demandent l'asile en France, faute de quoi on les renverrait directement d'où ils viennent.
Londres et Paris espèrent avoir suffisamment avancé sur ce dossier pour faire une déclaration commune quand le président Sarkozy et le Premier ministre Brown se rencontreront, en mai.
Chris Huhne, le porte-parole libéral-démocrate aux Affaires intérieures, a indiqué la nuit dernière que le gouvernement avait raison de chercher de nouveaux moyens de boucler la Manche mais a également averti : « Nous devons savoir sous quelle juridiction – française ou britannique – ils sont détenus et quels sont leurs droits de représentation. »

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Le camp d’Angres, dans le Pas-de-Calais. Photos association Terre d’Errance, janvier 2009

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