samedi 12 juillet 2008

Vladdo n’aime pas Uribe

Michel PORCHERON, 10 Juillet 2008

Il n’aime pas Uribe. Ni avant, ni après. Ni depuis.
Depuis la libération des 11 militaires colombiens, des trois Américains et d’Ingrid Betancourt, qui n’a plus besoin d’être présentée.

« Si les choses sont comme les ont décrites Ingrid Betancourt et le ministre de la Défense, Juan Manuel Santos, on ne peut qu’applaudir cette opération impeccable qu’ont menée à bien les militaires colombiens, sur le territoire colombien, sans blesser personne et sans offenser aucun pays voisin ». C’est le moins que pouvait écrire, avec gravité, Vladdo, antiuribiste notoire et acide qui le restera. Il n’a aucune raison de ne plus l’être. L’histrion, le pacifiste ne changera pas son fusil d’épaule. Dans le vocabulaire colombien, un partisan d’Uribe est un « furibista » (de furia), mais Vladdo fait partie des « antiuribistas ».


En conclusion de son papier, publié dans semana.com , ne commence-t-il pas ses deux paragraphes par un explicite “Ahora bien, estos sonoros éxitos militares no deben hacer perder de vista …” et par un très clair : « Así que esta oportuna operación militar, ejecutada en el momento más crítico de los últimos meses que ha vivido Uribe, no debe servir para echarle tierra a esos otros temitas…” . La traduction va de soi.

Et Vladdo d’énumérer quelques-uns de ces “temitas”.

Vladdo n’est pas exactement un homme politique. Il n’est pas surtout connu en Colombie et ailleurs pour ses écrits. C’est par ses dessins, eux politiques, que Vladimir Florez, 44 ans, a toujours manifesté son antiuribisme.

Vladdo est un des plus grands dessinateurs de presse actuels. Il est publié dans plusieurs journaux et publications colombiens, comme Semana, le principal hebdomadaire colombien. Il a même lancé son propre mensuel gratuit, Un Pasquín, mot qui existe en français, découvre-t-on. Selon le dictionnaire Le Petit Robert, « pasquin » vient de l’italien pasquino, « nom d’une statue antique sur laquelle on affichait à Rome des écrits satiriques. Ecrit satirique »

Une « pasquinade » (vieilli et littéraire) est « une raillerie bouffonne ».


En Colombie aujourd’hui, le Pasquín est dans l’esprit même de Vladdo, seul promoteur et seul colporteur, « une feuille de chou », vendue donc à la criée. « Pa’joder » (les francophones hispanophones comprendront) dit-il, lui qui a dans son métier deux références capitales : Saul Steinberg et Paul Flora.

Vladdo n’est pas pour autant absent du net ! (http://www.vladdo.com/) ...et de igoogle. www.google.com/ig


En réponse à une journaliste du journal colombien El Espectador (avant l’opération Jaque) voici un court extrait vladdien (1) : - Votre pire canaillerie dans la presse colombienne...Vladdo : Mon incapacité à rester muet face à certains sujets

Qui est l’homme politique le plus « Pinocchio » du Gouvernemen ?. V : Uribe, parce qu’avec sa tête de moi-je n’ai-jamais-été trompe encore plus de gens

Qui devrait être candidat pour la présidentielle en 2010 ? Je ne sais qui devrait l’être, mais je sais qui NE devrait pas l’être.
Un livre pervers…V: Plus qu’un libre, une collection. Les idées politiques d’Uribe.

Vladdo n’est donc pas hors jeu, puisque la libération des otages ne se situe pas exactement dans le domaine des idées politiques. Mieux, les Colombiens eux-mêmes – qui logiquement via des sondages ont fait monter de manière circonstancielle la cote de popularité du président Alvaro Uribe (elle est passée de 80 % d'opinions favorables avant l'opération à 90 % aujour­d'hui...) - sembleraient déjà penser à l’après-libération. En effet, comme le relève la correspondante du quotidien français, Le Monde, Marie Delcas, « la surprise de cette enquête d'opi­nions réside dans le fait que la moitié des Colombiens placent « la lutte contre la pauvreté » en tête des priorités qui devraient être celles du prochain gouvernement, et 22 % prônent la relan­ce économique. Concernant la sécurité démocratique, Alvaro Uribe n'arrive qu'en troisième position, avec un petit 19 %. Paradoxalement, les succès remportés en matière de sécurité ont fait perdre à celle-ci de son importance aux yeux des électeurs ».


- Grâce à Dieu
- De rien !...

D’accord, pour l’heure, l’ambiance est à l’euphorie. Une preuve ? Le texte suivant est écrit sur fond rouge : « Merci, Président, pour insister, persister, résister et ne jamais renoncer. Merci au président Alvaro Uribe, au ministre de la défense, aux forces armées et à l'ingéniosité des Colombiens déployée pour la libération d'Ingrid Betancourt et de nos militaires. » Un texte signé par un ou des uribistes ? Cela serait évident. En bas et à gauche de ce texte, un logo en forme de tête de vache : « ce vibrant hommage politique est une publicité pour la mar­que de produits laitiers Alque­ria, partenaire de Danone en Colombie » (Marie Delcas).

Dans l’euphorie, il n’est pas étonnant de lire dans un sondage publié par l’hebdomadaire Semana, qu’Uribe recueille –aujourd’hui- 72 % des intentions de vote dans la perspective (2) de la prochaine présidentielle de 2010...Et « Ingrid » ( qui a estimé le sujet prématuré) ? Aujourd’hui, elle obtient, en deuxième position, un petit 9 % des intentions, alors qu’elle bénéficie de 79 % d'opinions favorables, après trois « jours de battage médiatique sans précédent. C'est beaucoup pour une candidate hors jeu et réduite au silence depuis six ans et quatre mois » (M.Delcas).

Et si Uribe prend sa retraite ? Pour le coup « Ingrid » (si elle était candidate) a les faveurs des sondés, avec 31 % des voix...

Pour l’anecdote, aujourd’hui, selon le même sondage, le chef d’orchestre affiché de l’opération Jaque, le ministre de la défense, Juan Manuel Santos, n’obtiendrait que 15 %.

Mais revenons à Vladdo, après tout notre « héros » de cette modeste contribution.

Son succès, sa popularité, ses « coups » médiatiques, et ses dessins n’ont pas traversé l’Atlantique, à l’exception de quelques grandes signatures de dessins de presse, comme en France, Plantu. « « Vladdo est tout à fait dans l'esprit de Cartonning for Peace/Dessins pour la paix, la fondation que nous avons formée à la demande des Nations unies », a assuré l’éditorialiste du quotidien Le Monde, « séduit par l'éclectisme de son collègue colombien ».

C’est d’ailleurs, dans le monde francophone, Le Monde qui a été le seul à donner un sérieux coup de pouce de popularité au Colombien, el lui accordant le 21 mars dernier la totalité de « la trois », la troisième page qui héberge, dans l’esprit du journal, les grands sujets de société, avec pour titre : « Vladdo, une plume sans tabou ». C’est un Paulo A. Paranagua (PAP) inspiré qui présentait le dessinateur. Envoyé sur place pour le rencontrer, il pose en ouverture de son papier deux questions essentielles pour celui, ceux qui sont chargés avec leurs dessins de commenter l’actualité : « Peut-on rire des déchirements du conflit armé en Colombie ? Peut-on faire de l'humour avec le drame des otages ? La réponse dépend sans doute à la fois du comment et du positionnement ».


« A Semana je jouis d'une liberté totale », lui confie Vladdo qui y dispose d'une double page. Sa rubrique « Vladdomania », selon l’envoyé spécial, « distille son ironie tous azimuts, sans se soucier de la ligne éditoriale ». « Vladdoma­nia n'est pas responsable du contenu des pages éditoriales de ce journal », a-t-il écrit il y a plusieurs années.



Pour assurer au mieux son indépendance et l’intendance, il a un boulot de directeur artistique de beaux livres ou de nouvelles publica­tions. Et son Pasquín, sa feuille de chou ? «Je savais qu'on le désignerait de manière dépréciative - ce torchon ! -, alors autant assumer d'emblée l'épithète », explique-t-il. D'un côté et de l'autre du titre, précise Paranagua, on peut lire, à gauche (du titre) « Opposition en noir et blanc » et à droite « Politiquement incorrect ». « Des tribunes libres avec des commentaires sur l'actualité occupent la plupart des pages » (PAP).


Mais comme on est en Colombie, lui, comme d’autres, assurent leurs arrières. On ne sait jamais. Comme il cogne tous azimuts, sur Uribe mais aussi sur d’autres « acteurs » de la vie colombienne, « sans se soucier des convenances », il a pris « un pied à terre », un refuge à Miami, quand il sent que la tension monte un peu trop dans son pays, puis il rentre vite, car les sujets de mécontentement dans l’actualité colombienne « qui le scandalise et le mobilise sans cesse », ne peuvent pas attendre.


Pour avoir une idée de la production de Vladdo (certes avant le 2 juillet 2008), on peut consulter : http://tertulia-vespertina.blogspot.com/2008/03/las-mejores-caricaturas-de-vladdo.html


Voilà 20 ans que Vladimir Flórez dessine. Il a son actif trois livres et plus de 5000 dessins. Alors que des dessinateurs de presse, comme Vladdo, ont été harcelés et menacés « par des fronts de toutes parts», comme l’a écrit un critique colombien, par quel miracle, heureuse initiative a –t-il pu exposer 35 œuvres en 2006 au Museo Nacional de Colombia ?




Il ya 30 ans, des faits comme le sanglant coup d'État au Chili, n'étaient pas catalogués par les USA comme "terrorisme", mais comme politique...


« La Colombie est un pays où il se passe beaucoup de choses graves, mais rien de sérieux ne s’y passe. Nous vivons de massacre en massacre, de scandale en scandale et de pauvreté en misère, thèmes répétitifs qui, parfois, changent seulement de personnage » a eu l’occasion de dire Vladdo.


Les présidents passent, ils ont pour nom Barco, Samper, Pastrana ou aujourd’hui Uribe, la corruption, l’implication du trafic de drogue, les violations des droits de l’homme, la guerilla, les paramilitaires demeurent. Egal à lui-même, Vladdo n’a jamais cessé de s’indigner. Il a beaucoup de travail devant lui.

Notes


(1)- Su peor travesura en la prensa colombiana…V-Mi incapacidad de quedarme callado frente a ciertos temas.
¿Quién es el político más ‘pinocho’ del Gobierno? V-Uribe, porque con esa carita de yo-no-fui engaña a más gente.
¿Quién debería ser el candidato para Presidencia en 2010?V- No sé quién debería ser, pero sí sé quién NO debería serlo
Un libro perverso. V- Más que un libro, una colección: Las ideas políticas de Uribe.


(2)- Arrivé au pouvoir en 2002, en promettant de paci­fier le pays, ce chef d'Etat à poigne s'est fait brillamment réélire en 2006, après avoir fait modifier la Constitution du pays qui interdisait la réélection présiden­tielle. Pour briguer un troisième mandat, M. Uribe se doit de changer encore la loi.
Mais il garde le silence sur ses intentions, laissant ses amis faire campagne pour une nouvelle réforme constitutionnelle (à laquelle certains membres de sa majorité se sont publiquement opposés).



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