mercredi 23 juillet 2008

Radovan Karadzic, Srebrenica et Chirac - Pour rafraîchir les mémoires : La responsabilité française dans le génocide bosniaque


L’arrestation de Radovan Karadzic, l’ancien « Président » de la République ubuesque de Pale, fait couler beaucoup d’encre. Il me semble salutaire de rafraîchir les mémoires, à propos de cette « communauté internationale » qui prétend aujourd’hui juger des crimes qu’elle a encouragés hier. Voici ce que j’écrivais dans Basta ! n°7 du 29 novembre 1997.


La responsabilité française dans le génocide bosniaque

Les 200 000 morts et les quatre à cinq millions de
personnes déplacées ou exilées de l’ex-Yougoslavie
pèsent-ils sur les consciences européennes? Pas trop,
nous semble-t-il. Pas assez... pas encore. Mais
l'histoire et les peuples sacrifiés n'ont pas dit leur
dernier mot. Si la vengeance est un plat qui se mange
froid, l’injustice est un plat congelé à très basses
températures qui attend la formule secrète qui
permettra de le dégeler.

Voyez le procès Papon et sa furieuse tendance à
tourner en procès du gaullo-communisme et du
consensus «résistantiel» qui recouvrit d'un voile de
pudeur les responsabilités des fonctionnaires et
gendarmes français dans la solution finale de la
question juive. «J'assume le 17 octobre 196l», y a
déclaré Pierre Messmer, ouvrant un gouffre de
perplexité médiatique. A quand une demande de
pardon aux Algériens ?

Voyez le retour de tous les refoulés post-vichyssois.
Mitterrand s'est un jour réjoui que «cette fois-ci»,
des morts à Sarajevo n'aient pas entraîné une guerre
sur le Rhin, comme en 1914. Ce cynisme tranquille,
les électeurs français avaient sincèrement cru - ou
tenté de croire - pouvoir s'en libérer en élisant le
sanguin Chirac.

Lorsque, durant le terrible été de la «solution finale»
de la purification ethnique en Bosnie-Herzégovine,
en 1995, nous étions une poignée à dénoncer le
soutien immodéré et criminel apporté par les
gouvernements français et britannique à l'entreprise
fasciste serbe, nous nous sommes heurtés à
beaucoup d’incompréhension et de mauvaise foi.

«Mais enfin, nous disait-on, comment pouvez-vous
réclamer la levée de l'embargo sur les armes pour
les Bosniaques? Vous voulez ajouter la guerre à la
guerre! Mais enfin, Chirac a promis qu'il allait
secourir les malheureux Bosniaques. Il faut lui faire
confiance; il n'est pas comme Mitterrand.» Etc. etc.
Eh bien, ces braves gens ont été trompés. A eux de
tirer leurs conclusions.

Un crime contre l'humanité a été commis en Bosnie,
notamment à Srebrenica. Les responsabilités de la
«communauté internationale» dans ce crime n'ont
rien d'abstrait. Elles sont très concrètes. Elles sont
partagées, principalement entre les États-Unis,
l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Russie et la
France.

Cela n'exonère personne. Mais la responsabilité
française - et dans ce domaine aussi, la continuité de
Mitterrand à Chirac est totale - est particulièrement
lourde.

Vendredi 14 juillet, jardins de l'Elysée: devant une
batterie de caméras et de micros, le nouveau
Président, au cours d'une garden-party new look
répond à une question sur la prise de Srebrenica,
trois jours plus tôt, par les troupes du général serbe
Ratko Mladic. Avec un aplomb rétrospectivement très
impressionnant, il affirme sans ciller qu'il n'est pas
informé. Autrement dit, il est dans la même situation
que vous et nous, petits citoyens anonymes sans
importance: on ne le tient au courant de rien. C'est
fâcheux, avouez-le. Car la grande différence entre
vous-nous et lui, c'est que nous ne sommes pas chef
d'État d'un des cinq pays membres permanents du
Conseil de sécurité, que vous-nous n'avons pas la
faculté d'appuyer sur le bouton rouge de la force de
frappe nucléaire et que nous n'avons même pas le
numéro de téléphone du portable de Miadic,
Milosevic ou Karadzic.

Pas informé, Chirac?

Plus le mensonge est gros et mieux il passe.
Chers électeurs et citoyens, on vous a tout simplement trompés.
Deux jours après cette garden-party, le président
français faisait une déclaration solennelle
reconnaissant la responsabilité de l'État français, de
sa police et de sa gendarmerie dans la déportation
des juifs de France. Nous espérons qu'il ne faudra
pas attendre l’an 2048 pour que les successeurs des
responsables français et européens d'aujourd'hui
se décident à «reconnaître la responsabilité des
démocraties» dans le génocide des Bosniaques.
Sommes-nous vraiment irréalistes?

L'exemple palestinien montre amplement, depuis
cinquante ans, que les dénis de justice, entérinés ou
non par les Nations unies, sautent un jour à la
gueule de tout le monde.

Faute de justice, la rage et la vengeance peuvent
faire des ravages terribles et toute l'humanité y perd.
Établir les responsabilités est donc une oeuvre de
paix.

Et il n'y a pas de paix véritable sans justice.

Le général Bernard Janvier commandait en
1995 la Forpronu [Force de protection de
l'Onu], censée protéger les Bosniaques
réfugiés dans les «zones de sécurité».
Le 24 mai 1995, au cours d'une réunion à
huis clos du Conseil de sécurité de l'Onu à
New York, Janvier propose d'abandonner
les zones de sécurité de Srebrenica, Zepa
et Gorazde.

Un mois plus tard, Janvier est informé par
les services français de renseignement
militaire des préparatifs serbes d'attaque
de Srebrenica.

L'attaque commence le 5 juillet. Jusqu'au
11 juillet, Janvier répondra par la négative à
cinq demandes successives d'intervention
aérienne de ('OTAN pour stopper l'attaque,
émanant du commandant néerlandais de la
Forpronu à Srebrenica.

Le 10 juillet, l'État-major militaire de la
Forpronu est réuni à son QG de Zagreb
autour de Janvier. A 20 heures 15, on
demande le général au téléphone. C'est
Paris. Janvier s'isole pour prendre l'appel,
accompagné uniquement d'officiers
français.

À son retour, Janvier annonce que le
général Ratko Mladic n'a pas l'intention de
conquérir Srebrenica et qu'il n'y a donc pas
lieu de demander une intervention aérienne
de l'OTAN.

Seize heures plus tard, Srebrenica est
conquise par les troupes de Mladic. 40 000
personnes en sont chassées. 8 000
hommes seront exécutés sommairement
par les hommes de Mladic. Mais ce dernier a
auparavant fait signer une «décharge» au
commandant néerlandais, avec lequel il
s'est fait photographier, trinquant avec des
flûtes à champagne. En novembre 1995, le
Commandant néerlandais déclarera: «Ce
n'était pas du champagne, mais seulement
de l'eau.» On est rassurés.

L'appel téléphonique du 10 juillet de Paris à
Zagreb était de Jacques Chirac. Ce dernier
avait obtenu, à l'issue de trois conversations téléphoniques avec
Milosevic les 3, 9 et 11 juin, la libération de
401 Casques bleus pris en otage par les
troupes serbes de Mladic. En échange, il
avait promis qu'il n'y aurait pas de frappes
aériennes de l'OTAN.

Dans un télégramme adressé le 19 juin à
Kofi Annan, chef du Département des
opérations de maintien de paix, dont
dépendait la Forpronu, l'envoyé spécial de
l'Onu Akashi rendait compte d'un entretien
avec Milosevic. Ce dernier lui avait déclaré
avoir été informé par Clinton qu'il n'y aurait
pas de frappes aériennes si Chirac les
jugeait «inacceptables». Et jusqu'au 11
juillet 1995, Chirac les jugea inacceptables.
Milosevic avait aussi précisé à Akashi que
Chirac lui avait déclaré ne pas s'attendre à
ce que la Force de réaction rapide soit
engagée, mais que sa création pourrait
aider à remettre en route le processus des
négociations.

Ces informations ont été publiées
notamment par NBC Handelsblad, un
quotidien néerlandais. On les retrouve dans
un livre paru chez Atlas Publications,
Amsterdam/Anvers, sous la plume de Frank
Westermann et Bart Rijs, intitulé
Srebrenica: Het Zwartste Scénario [Le
scénario le plus noir]. Elles ont été
publiées par Basic Reports, une lettre
d'information sur la politique internationale
de sécurité éditée par le British American
Security Information Council, sous la
plume d'Andreas Zumach.

En France, ces informations n'ont jamais
fait l'objet d'enquêtes officielles publiques
ni même d'enquêtes journalistiques
poussées. On y a trouvé des allusions dans
Le Nouvel Observateur et dans un
reportage d'Envoyé Spécial. C'est tout.

Des commentaires?

Circulez, il n'y a plus rien à voir.

Sauf des charniers.

Fausto Giudice


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